Chapitre 14

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Je suis plongée dans mes pensées à revivre un événement qui est maintenant fixé dans le temps, révolu. Les questions tourbillonnent dans ma tête.

Pourquoi suis-je restée planté comme une idiote ? J'aurais pu dire quelque chose de spirituel, ou l'embrasser en retour. Mais non ! Il a fallu que je reste comme une abrutie, un arbre aurait eu plus de réaction ! Il aurait bruisser ses feuilles ! Maintenant j'ai la certitude qu'il me déteste. En fait, non, je ne peux pas en être certaine. Ce dont je suis sûre, c'est que c'est moi-même que je déteste d'être restée plantée là trop surprise pour réagir.

Je me sens ridicule. Demain je m'excuserai et les choses se remettront dans l'ordre. A moins qu'il ne soit pas là. Mais il sera là !

J'enrage intérieurement. Qu'est-ce que je peux être bête !

J'arrive finalement à la maison. Je pousse le petit portail et Samuel ouvre la porte en grand, ainsi que ses yeux qui sont emplis d'espoir. Qu'est-ce que je dois lui dire ? Que j'ai gaffé ? Pourtant Cole avait accepté avant... Je chasse ce souvenir de mon esprit avant de continuer à m'autoflageller.

— Alors alors ? me presse-t-il.

Je hoche la tête. Samuel saute du perron pour s'accrocher à mon cou. Bien que surprise, je parviens à rester debout. Il est tellement heureux et sa joie me réchauffe de l'intérieur. Intérieurement je soupire : Faites que je puisse arranger les choses.

*

La fin de la journée s'est déroulée dans le brouillard. Je suis incapable de me souvenir de quoique ce soit, autre que mes tergiversations intestines qui ne font certainement pas avancer les choses et me font broyer du noir. Elles m'ont maintenu éveillé une bonne partie de la nuit.

Plutôt que de tourner dans mon lit je me lève plus tôt que d'habitude et m'habille pour aller courir. Il faut que je m'excuse ou que je lui dise ce que j'éprouve. C'est tout ce que je peux faire. Je me sens coupable de ne pas avoir réagi. Je déteste l'impassibilité !

J'évite de claquer la porte de l'entrée sous le coup de la frustration pour éviter de réveiller toute la maison.

J'arrive beaucoup plus tôt sur la plage et Cole n'est pas là. J'ai le cœur qui se serre à la pensée que peut-être je ne le reverrai pas, juste parce que je suis trop stupide. Plutôt que de broyer du noir ou de laisser la colère et la frustration m'envahir, je m'assois sur la plage, avec une bonne heure d'avance sur mon horaire habituel. Le soleil n'est pas encore levé, l'horizon se teintant à peine d'une couleur plus claire. Le bruit des vagues m'apaise et je commence à somnoler.

Une main se pose sur mon épaule et me secoue légèrement. Je sursaute. Je lève les yeux et je trouve Cole qui se tient devant moi. Le soulagement m'envahit et j'ai les larmes qui me montent aux yeux, encore et toujours elles. J'avais tellement peur de ne plus le revoir, de l'avoir irrémédiablement blessé. C'est dingue comment une personne que je ne connaissais pas il y a peu, a pris une part aussi importante dans mon cœur, qu'à son absence hypothétique, il s'effrite, se fissure, se fracture. Je pensais qu'il n'était plus capable de se briser comme il l'a déjà été et pourtant, les morceaux se sont ressoudés lentement. Les fissures sont toujours apparentes, mais l'ensemble fonctionne plus ou moins bien.

Je me relève prestement et le prends dans mes bras. Son corps se raidit, je suppose qu'il ne s'attendait pas à cette réaction de ma part. Il pose ses mains dans mon dos. Il n'a le temps de ne rien dire et moi non plus d'ailleurs, parce que j'ai une envie subite de laisser libre cours à ses sentiments qui ont besoin de s'exprimer et de sortir : je pose mes lèvres sur les siennes et je suis aussi surprise que lui de mon audace, si ce n'est plus. Après une brève seconde d'hésitation qui me donne l'impression de tout faire de travers, la panique qui me gagne et me renvoie à hier lorsque moi-même je suis restée sans réaction. Il me rend tendrement mon baiser. Les larmes idiotes se mettent à couler et je ne sais pas ce qu'elles ont envie de montrer par leur présence et je m'en fiche. Que ce soit de peur, d'appréhension ou de soulagement je les laisse. J'ai suffisamment pleuré de douleur et de peine, alors elles peuvent bien signifier des choses un peu moins tristes pour une fois.

Je mets finalement un terme à ce baiser, Cole pose ses yeux sur moi, chargés d'un espoir que je n'y avais jamais vu et remarque alors que je pleure. Délicatement il essuie mes larmes de ses pouces et dépose un baiser sur mon front. Je me sens rougir et devant son silence je suis un peu gênée. Alors qu'il prend une inspiration profonde, je m'attends à ce qu'il prenne la parole mais il me sourit encore et me serre contre lui. L'odeur de la mer m'emplit les narines. A ce moment-là seulement, je comprends qu'il avait lui-même peur que je ne revienne pas.

— Je suis soulagé, entends-je et je murmure en réponse :

— Moi aussi.

Puis son corps est secoué par un petit rire nerveux, qui se transforme en un vrai rire et les vibrations qu'il dégage résonnent jusqu'à moi. Nous rions tous les deux, avec la musique douce des vagues comme ambiance sonore, comme si elles nous donnaient leur approbation.

*

Je passe plus de temps que d'habitude avec Cole et je n'ai clairement pas envie de repartir. Pourtant, allongée sur le sable, avec lui à mes côtés et sa main dans la mienne, je l'observe tout comme lui le fait. Je sais que je vais le revoir tout à l'heure. Mais partir maintenant pour revenir plus tard, me séparer de lui, me fait mal au cœur. C'est tellement idiot. A cette idée, je soupire. Je le vois esquisser un sourire en coin.

Je me redresse à la pensée qu'il faut bien que l'un de nous deux soit raisonnable et il me suit dans mon mouvement. Alors que je m'apprête à ouvrir la bouche pour parler, il y pose un doigt plein de sable puis avance son visage du mien pour déposer un baiser rapide sur mes lèvres.

Cole se relève et m'entraîne dans son sillage et il m'enferme dans ses bras, en posant sa tête au sommet de la mienne. Je pourrais rester dans cette position longtemps, nos deux corps étant adaptés l'un à l'autre, même si l'inactivité risquerait de rendre mes jambes lourdes. Je le repousse doucement pour l'embrasser une dernière fois avant de rentrer. Mais ce dernier baiser dure et chaque baiser suivant devient l'avant-dernier du suivant. Je finis par m'écarter de lui et lui souris. Il me relâche de son étreinte, attrape ma main pour la porter à ses lèvres en y apposant un baiser. Elles survolent le dos de ma main, mais cette toute petite zone se charge d'électricité. Puis il me libère et me fait un petit signe de la main alors que je recule pour repartir.

Le chemin du retour est un flou artistique. J'ai envie de courir et de piquer un sprint et pour autant mes jambes me laissent flâner, marchant à un rythme lent. Je revis les mêmes instants dans ma tête comme un disque rayé répète la même séquence d'une chanson. Je souris comme une idiote et je dois avoir encore ce sourire béat lorsque je parviens à la maison, c'est certain.

Je passe le portail et la porte d'entrée en essayant de contenir toute cette euphorie. Arrivée à la cuisine, je souhaite un bonjour enthousiaste à Helena et Samuel. Sans doute un peu trop enthousiaste, parce que Helena déclare :

— Tu es bien heureuse ce matin.

Je bafouille pour lui affirmer que non et Samuel en rajoute une couche, pour m'enfoncer :

— T'es toute rouge !

Alors évidemment, je bafouille encore plus et je dois très probablement devenir cramoisie si ce n'est pas déjà le cas. Ou si cela est possible je dois devenir une teinte encore plus rougeoyante voire peut-être incandescente. Je me sens gênée et Helena se lève et s'approche de moi pour me regarder de plus près et annonce :

— C'est ce garçon que tu vois tous les matins ?

Plutôt que de bafouiller, je hoche la tête et elle sourit malicieusement. Elle me prend dans ses bras, et bien que son contact me crispe spontanément, j'apprécie cette accolade. C'est idiot, elle ne me ferait pas de mal. Elle murmure dans mon oreille pour que moi seule puisse l'entendre, loin des oreilles de Sam :

— Je suis heureuse que tu ais ce sourire.

Je la serre en retour et c'est la plus belle chose que je pouvais lui donner. Alors qu'elle se détache de moi, elle annonce d'une voix plus forte :

— Samuel : laissons Axelle tranquille. Nous l'interrogerons plus tard, lance-t-elle en me faisant un clin d'œil alors que Samuel rit tout en ajoutant sur un ton sérieux :

— Je ferai le méchant flic !

Nous rions tous les trois, jusqu'à en avoir les larmes aux yeux.

Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant