XXVI.

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Point de vue Adina.

- Tu vas où?

Je manque de tomber quand je réalise que le rappeur retiens ma jambe du bout des doigts.
Mon regard se tourne sur le tabouret à roulette où il est assis, devant la table de mixage. Il a encore un bout de son casque collé à l'oreille.

- Faut que j'y ailles.
- Ça répond pas à ma question.
- T'es mon petit papa poule maintenant ?
- Promets moi que tu resteras aussi désagréable toute ta vie.
- Je te promets de faire chier le monde jusqu'à ce qu'il se retourne sur moi.
- Demain même heure ?
- Tu sais que je manquerai jamais des enregistrements.

Il me sourit comme il sait si bien le faire. Après avoir libéré ma jambe de l'étreinte de sa main je reprends la marche.
Je l'entends m'appeler une dernière fois.

- Quoi?
- Fais gaffe à toi un peu. Je voudrais pas qu'il arrive quelque chose à ma nouvelle fausse petite copine.
- Je suis la nouvelle fausse petite copine attitrée de personne. J'arrive à lancer un peu plus fort tout en sortant du studio.

Je ne peux plus le voir mais je suis presque certaine qu'il sourit toujours.

Je regarde l'heure sur mon portable, 22:47.
Et merde, c'est quasiment certain que je serais en retard.
Puis pourquoi je m'en inquiéterai ?
Qu'il pourrisse des heures en m'attendant c'est tout ce qu'il mérite.

Je cours jusqu'au métro à l'instant où je vois la pluie s'abattre sur moi, encore.
Je ne voyais plus le mauvais temps dans le studio.
Je voyais même plus rien du tout.
En chantant je me suis autorisée à pour une fois ne voir que le noir complet, l'infini.
Mes yeux fermés comme pour oublier quelles autres merdes m'attendaient de l'autre côté.

J'arrive dans les couloirs puants du métro.
Moment détestable entre tout ces gens qui marchent à vive allure, je les dévisage un par un pendant qu'une goutte d'eau parcours ma nuque jusqu'au bas de mon dos.
Et merde.
J'ai frissonné en rabattant mes cheveux sur mon épaule.

Arrivée à la bonne ligne, dans le bon métro, j'augmente le son pendant que la musique résonne déjà dans mes oreilles.
J'ai beau me concentrer je suis incapable de déchiffrer les paroles.
J'augmente le son encore un peu.
Je me calme, j'essaie de m'apaiser.
C'est toujours la même voix qui résonne.

Le souvenir qui revient en boucle.
Le cauchemar à deux pas du réel.
Encore.

Ouais je me souviens.
Assise sur la chaise la plus petite autour de la table, pendant que maman me tient la main et que monsieur le docteur fait de petits gestes secs avec ses mains.
Il parle encore, pendant que je détourne les yeux vers la petite table rose.
La petite table rose où gisent encore les dessins fades et noircis par un crayon qu'on frotte bien trop fort sur le papier.
Je croise le regard de ma mère en ramenant les yeux de son côté, elle serre un peu plus fort mes doigts entre les siens alors que j'essaie d'échapper ma main grassouillette de la sienne.
Pour unique distraction je laisse mon autre main s'égarer sur le bureau.
Le médecin la saisit comme un gibier innocent.

"Une dépression aussi jeune, ça se guérit."

Je ferme les yeux du plus fort que je le peux.
La musique revient, les paroles reviennent.
Je rouvre les yeux sur ma main, qui s'accroche à la barre de métro comme on s'accroche à la vie qui se barre.

Les portes s'ouvrent, dieu merci c'est le bon arrêt.

*************************************

J'ouvre à peine la porte de l'appart' qu'Angele se tient déjà devant.
Je sursaute aussitôt.

- Putain tu m'as fait flipper.
- Ça va ? Elle essaye de dire le plus innocemment possible, pourtant je sais qu'elle se retient presque de m'assommer.
- Uhm... oui? Qu'est-ce que tu fais à la case ?
- Je m'ennuyais.

J'essaie de lire dans ses yeux la moindre faiblesse qui pourrait la trahir mais, rien.
Elle part s'asseoir sur le tabouret de la cuisine.
J'avance prudemment vers la salle de bain, j'essuie mes cheveux avec la première serviette à ma portée.

- Tu vas où comme ça ? Je l'entends dire de l'autre côté du mur.
- Oh je... je sors prendre un peu l'air. Je me sens pas très bien.

Je l'entends presque grogner de la cuisine.

- Quoi?
- Je sais que tu vas voir Antoine.

Je repose la serviette sur le radiateur et je la rejoins a pas légers.

- Et donc ?
- Et donc ? Tu poses vraiment la question ? Elle se lève pour arriver face à moi. T'en as pas marre de jouer au jeu de qui est le plus con ? Rends toi compte de ce qu'il a fait de toi avant de retomber dans la gueule du loup.
- Je sais ce que je fais.
- Non t'en sais rien! C'est du suicide ce que tu fais là, du suicide. Elle marque une pause. Et comment je vais faire moi, qu'est-ce que je vais devoir te dire quand tu seras encore en petits morceaux ?
- Je suis pas un putain de gosse ok? Je fais des choix, j'avance. Si j'ai décidé d'avancer en arrêtant d'être un gosse, c'est pour que des gens comme toi arrêtes de me dire comment me comporter, que t'arrêtes de vouloir me protéger du monde. Du monde tout entier.

Elle me dévisage avec un mélange inattendu d'admiration et de colère.
Enfin je croyais, jusqu'à ce qu'elle me demande:

- N'oublies pas la gueule que t'avais le premier jour où t'es rentré chez moi. T'es repartie un an plus tard, et t'es toujours aussi froide, même si tu te caches derrière un ptit air provocateur je m'en rends bien compte. T'es sûre qu'encore aujourd'hui t'as envie de dresser cette putain de barrière, parce que personne à jamais su vraiment bien s'occuper de toi?
- Je m'excuse si je t'ai blessé. T'as beau imaginer que tu vas me réveiller en me disant ça j'espère que toi aussi de ton côté tu prépares de bonnes excuses pour ce que tu viens de dire.

Je prends ma veste à capuche que je glisse en deux temps trois mouvements sous ma veste en jean.
Elle est trempée mais pas le temps d'en changer. ça niquerait le moment.

Je sors sans me retourner, et quand la porte claque je sais que j'aurai du mal à revenir.

Il pleut un peux moins dehors.

Je réalise seulement que je suis bien plus loin du skatepark que prévu.
J'avance à l'aveugle entre les immeubles car il fait déjà si sombre.
La capuche vissée sur le crâne j'ose à peine relever la tête.

Soudain, j'aperçois près de moi les grilles rouillées qui longent  le skatepark.
J'avance jusqu'au plus gros module, si je me souviens bien, on appelle ça un bowl.

Je m'avance encore un peu plus et je sursaute en le voyant comme ça, assis au milieu du module désert. Les yeux vers le ciel.

- Antoine ?

Ils l'appellent PalpalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant