Chapitre 6

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 Emma était devenue, en quelques semaines seulement, l'enfant chérie des Halles. D'abord intrigués par cette petite tête brune qui suivait Martin comme son ombre, puis attendris par sa gouaille et son caractère bien trempé, tous les marchands avaient adopté la fillette – si bien que Martin ne s'inquiétait lorsqu'il quittait la ville ! Même, la plupart du temps, il se contentait de la confiée à son vieil ami Ali, avant de partir en exploration.

La petite fille semblait apprécier Ali Haddad. Et Martin n'avait aucun mal à deviner pourquoi ! Cet homme de quarante-cinq ans, aux yeux noirs et au sourire fatigué, était connu de tout Bois-aux-Roses pour être un expert de l'Ancienne technologie. C'était probablement ce qui fascinait Emma, d'ailleurs : l'atelier d'Ali était rempli de jouets robotiques, de télévisions, d'ordinateurs, de téléphones et d'autres trucs dont Martin ignorait l'utilité.

- Oh, elle me dérange pas, tu sais, avait souri Ali, un soir. Et puis, contrairement à toi, elle s'intéresse !

Et comme rien ne semblait faire plus plaisir à Ali Haddad qu'on le bombarde de questions, Emma s'en donnait à cœur joie. « Et qu'est-ce que c'est ? » « Et à quoi ça sert ? » « Et comment ça marche ? » Pédagogue, Ali répondait à chacune de ses questions, ce qui en suscitait d'autres encore. Au final, tous les deux s'étaient plutôt bien trouvés.

- Tu essaies de former une assistante ? s'était moqué Martin. Tu les prends au berceau maintenant ?

- C'est vrai ? s'était extasiée la petite fille en essayant de se suspendre aux bras de Martin. Je peux être ton assistante, Ali ? Je peux, vraiment ?

Ali avait rit. Quant à Martin, il avait songé, non sans pragmatisme, qu'il saurait au moins où la trouver quand il rentrait le soir. Et puisqu'il n'avait pas réussi à la convaincre de retourner à l'école, au moins elle apprenait quelque chose d'utile ! Si ça pouvait l'empêcher de finir rafleuse...

Il fallait être honnête : ce n'était pas de gaieté de cœur que Martin était devenu pilleur de ruines. Les rafleurs n'avaient pas une vie facile ! Mais nécessité avait fait loi. Il fallait bien gagner sa vie...

C'était donc rassuré sur le sort de sa petite protégée que Martin taillait à grand coup de manchette le lierre qui lui barrait la route. Très lentement, il se frayait un chemin dans les escaliers de ce qui avait sans doute été un hôtel luxueux.

Souple comme un chat, Martin louvoya entre les épaisses branches d'un arbre qui avait eut l'excellente idée de pousser à travers un trou béant dans le mur et de s'étendre – il s'était d'ailleurs curieusement adapté au bâtiment, ses ramifications s'accordant étonnamment aux courbes de ces longs couloirs. Plongeant sans crainte dans les corridors caligineux, Martin parvint, au prix de nombreux efforts, à atteindre une immense suite.

Hélas, les lieux avaient déjà été visités – les deux graffitis tracés à la hâte sur le mur, en étaient la preuve. C'était une règle de courtoisie chez les rafleurs : une zone minutieusement fouillée était marquée pour éviter au suivant de se fatiguer à sonder les lieux. Le jeune homme retint un grognement, frustrée d'avoir fait tout ce chemin pour rien.

Relevant la tête par acquit de conscience, il sourit. Ses prédécesseurs avaient oublié un détail qui avait pourtant toute son importance : ils avaient arraché les lumières, mais ils avaient oublié le câblage. Difficilement, Martin tira sur une vieille commode pour la rapprochée du centre de la pièce. Comment pouvait-on se prétendre rafleur et oublier bêtement de s'occuper des fils électriques ?

Il lui fallut plus d'une heure pour découper le plafond et récupérer ce qu'il pouvait. Certes, il n'en tirerait pas grand-chose, mais ce serait suffisant pour la semaine. Ali payait bien. Avant d'être des amis, ils étaient surtout des associés, et leur partenariat fonctionnait plutôt bien !

Peut-être qu'il en tirerait assez pour offrir un petit quelque chose à Emma ? Après tout, la petite n'avait pas beaucoup de jouets ! Martin s'était davantage inquiété de son confort plutôt que du simple fait qu'elle n'était qu'un enfant. Emma avait des dizaines de vestes et de petites robes commandées sur-mesure auprès de la meilleure couturière des Halles, de belles chaussures en cuire et des rubans, mais pratiquement rien pour s'amuser. Il fallait dire aussi qu'elle ne réclamait rien. Elle se contentait de sautiller à ses côtés et d'écouter religieusement Ali.

Un sourire étira ses lèvres : cette gamine avait déjà tout d'un ingénieur !

Le piaillement d'un oiseau interrompit le cours de ses pensées. Chassant un morceau de plâtre qui avait atterri dans ses cheveux, le rafleur chercha l'animal du regard.

Un éclat blanc attira son attention. Il voleta tout autour de la pièce en poussant des cris sinistres, trop rapide pour que Martin puisse réellement le distinguer. La chose semblait inoffensive, mais un instinct tout au fond de lui, lui souffla l'inverse.

Cette apparition n'était pas naturelle ! Ses pouvoirs s'étaient réveillés, recouvrant l'intégralité de son corps d'une fine armure de glace. Surpris, Martin laissa retomber ses outils au sol, avant de s'accroupir, à la fois pour offrir à cette étrange apparition le moins d'espace possible pour l'atteindre, et pour pouvoir bondir le plus rapidement possible.

Le spectre siffla, avant de se poser délicatement sur le sol. Le jeune homme eut alors tout loisir l'observer. C'était un pliage de papier qui évoquait vaguement la forme d'un corbeau, comme pouvaient en faire les enfants. L'animal de papier croassa, avant de sautiller vers lui. Dans son bec, il tenait un pli d'aspect officiel. Méfiant, Martin posa lentement le pied au sol, sourcils froncés.

- C'est pour moi ? osa-t-il.

L'oiseau pencha la tête sur le côté, avant de lâcher l'enveloppe. D'un simple battement d'aile, il se réfugia en haut d'une vieille bibliothèque qu'on avait entièrement vidée. Martin, dubitatif, ramassa le billet lentement, avant de le déplier. À l'intérieur, un message y avait tapé sur une vieille machine à écrire.


Cher Martin Wilson,

Né le 31 juillet 1104 Après le Déclin,

Rafleur indépendant, Bas-Quartier, 

Vous êtes attendu ce jeudi à 8h au Bastion. Cette lettre vous servira de laissez-passer. Ne soyez pas en retard. Une nuit de plus. 

Major Yann Bellerin.


Troublé, Martin replia précautionneusement la missive avant de la rangée dans une poche. Il leva ensuite les yeux vers l'oiseau plié qui semblait attendre sa réponse.

Il n'avait aucun doute quant à son origine. Seul un Sorcier particulièrement entraîné pouvait réaliser d'aussi belles choses ! Et puis, tout le monde connaissait la devise des Gardes sans pour autant la comprendre : « Une nuit de plus. »

Mais pourquoi le convoquait-on au Bastion ? Et pourquoi prendre la peine de réaliser quelque chose d'aussi complexe simplement pour le prévenir ?

Il sentit son cœur s'emballer. Il repensa à sa rencontre avec cette jeune Garde. Valentine avait-elle parlé de lui à l'un de ses supérieurs ? L'avait-on considéré comme une potentielle menace dont il faudrait se débarrasser ? Peut-être ne voulait-on pas prendre le risque de laisser un Sorcier inexpérimenté dans la nature !

L'oiseau crailla d'impatience. Martin l'observa, et frémit. Celui qui l'avait créé était peut-être en train de l'observer à travers cette tête inexpressive. Il déglutit péniblement, avant de s'approcher de l'oiseau-papier.

- C'est d'accord, lui apprit-il d'une voix blanche. Je serai là.

Visiblement satisfait par la réponse, le freux étendit ses grands élytres, avant de s'envoler. Il disparut aussi vite qu'il était apparu, laissant derrière lui un Martin incrédule.

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Bonjour à toutes et tous !
Un chapitre plus court, de transition et livré avec un petit peu d'avance. En attendant de retrouver Martin et de faire la connaissance avec le Commandant Yann Bellerin (Martin, Yann... il n'est pas difficile de deviner d'où m'est venue l'inspiration) je vous souhaite un bon week-end !

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant