La tête trop pleine pour pouvoir réfléchir correctement, Martin ne retourna pas immédiatement vers les Halles après avoir quitté le Bastion. Il était encore tôt, et il avait cruellement besoin de faire le vide.
Le regard perdu au loin, il déambula sur le rempart de Bellevue, appréciant l'odeur d'iode et le vent qui agitait sa courte crinière brune. Il croisa les bras contre sa poitrine, s'engonça davantage dans son manteau bien trop léger pour la saison, écoutant les vagues qui se brisaient sur les falaises. Il inspira lentement en observant le lointain sans réellement le voir.
La proposition était tentante. Devenir Garde c'était avoir pour soi l'assurance d'une vie confortable, la gloire d'appartenir au corps d'armée le plus prestigieux Bois-aux-Roses ; mais pour Martin, c'était aussi – et surtout – une occasion unique de venger sa mère, et de peut-être trouver les réponses qu'il espérait tant.
Son cœur se serra et un juron s'échappa d'entre ses lèvres. Il releva le col de sa veste en frissonnant. Devenir Garde, c'était surtout pour lui, le seul moyen de s'affranchir de sa condition sociale !
Bois-aux-Roses n'avait rien d'une société idyllique où chaque citoyen pourrait y vivre sans craintes. Ses habitants avaient tronqué leurs libertés contre la satisfaction de se savoir en sécurité. La cité reposait sur une logique de quartiers plus forte encore que le sentiment d'appartenir à une ville-nation. Les ghettos avant Bois-aux-Roses. Aussi, Martin était enraciné aux Bas-Quartiers.
Quand on était rafleur, et au service des marchands des Halles, on le restait jusqu'à la mort. C'était une existence de misère, certes, mais au moins pouvait-il se consoler en songeant qu'il avait désormais un but. Avec Emma à ses côtés, il n'avait plus seulement l'impression de survivre...
Dans sa poche, l'oiseau de papier s'agita. Martin lui donna une pichenette pour lui imposer le calme. Un grognement s'échappa de sa gorge.
- Commence pas toi, ou je te jette dans le grill des Halles !
Le carton plié se le tint pour dit. Satisfait, Martin descendit des remparts de Bellevue. Il n'avait pas assez d'argent pour prendre le tramway, et puis, marcher l'aidait souvent à lui remettre les idées en place.
- Perds pas ton temps, mon gars, se sermonna-t-il. T'as pris une décision, alors à toi de l'assumer maintenant !
Il était en effet temps d'arrêter de rêver, et de rentrer à la maison. Quelqu'un l'y attendait.
*
- MARTIIIIIIIIN ! MARTIN T'ES REVENU !
À peine l'intéressé eut-il franchi la monumentale entrée des Halles qu'une petite furie traversa la grande allée centrale en bousculant les badauds. Elle se jeta dans les bras d'un rafleur qui l'attendait les deux pieds encrés dans le sol. De ses petits bras potelés, Emma emprisonna son cou en riant. Une petite voix babilla dans ses oreilles un tas de choses sans queue ni tête.
- ... même que Guillaume quand il m'a vue il m'a demandé de tes nouvelles, mais moi je savais pas quoi lui répondre, je savais pas si je devais lui dire que tu allais au Bastion, ou si je devais mentir, alors j'ai décidé de m'enfuir et puis...
- ... et si tu essayais de respirer de temps en temps, hein ? Ça te changerait !
La petite fille nicha son nez dans son col pour un cacher un sanglot.
- J'ai eu peur que tu reviennes plus jamais.
Touché, Martin glissa une main dans ses longues boucles rousses. Il grimaça en constatant qu'ils étaient pleins de nœuds. Il allait passer sa soirée à les brosser et à subir les jérémiades de la petite.
- Je te l'avais dit, non ? Je t'abandonnerai pas, Petite Peste !
- Et tu vas rester pour toujours avec moi ?
Rendu muet par l'émission, Martin ne put que serrer davantage la petite fille contre son cœur. Une vive émotion le traversa. Pour la première fois depuis longtemps, il avait l'impression d'être vraiment heureux.
- Hé bien ! J'vois que tu n'es pas encore en train de croupir dans les cellules du Bastion, Wilson !
Martin retint un soupir exaspéré. Relevant la tête, il croisa le regard pétillant d'une vieille femme aux longs cheveux blancs. Elle était si voûtée et son visage si ridé qu'on aurait cru qu'elle avait cent ans. Deux pas derrière elle, Ali, les mains dans les poches, semblait hilare.
« Traître ! » songea-t-il en reposant la petite à terre.
- Yolande, la salua-t-il avec déférence.
- Il serait peut-être temps qu'on parle, tu ne crois pas ?
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Holà ! Holà !
Un petit chapitre de transition pour petit amuse-bouche ! :p On rentre un peu dans la tête de Martin, et à travers lui dans la ville de Bois-aux-Roses où les gens sont conditionnés par leurs quartiers. Vous avez dit " déterminisme social " ?
Allez ! On s'arrête là avec les réflexions métas ! Je vous présente Yolande ! Un personne très important pour Martin. J'espère que vous allez aimer son franc-parlé ! :p Je vous laisse avec son portrait réalisé pour le Inktober. :D
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ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du Bastion
ParanormaleDans un monde où d'étranges Ombres ont réduit à néant la civilisation humaine, Martin Wilson, un jeune Sorcier qui possède le don de glace, sauve la vie d'Emma, une petite orpheline. Il est alors repéré par le Major Yann Bellerin qui lui propose de...