ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du Bastion

Chapitre 20

 Martin sursauta. Il se retourna vivement et pâlit en apercevant une haute silhouette en long manteau noir. Un Garde, et un gradé si en jugeait les innombrables broderies qui scintillaient dans la lumière matinale. Un bref instant, il envisagea la possibilité de fuir en s'engouffrant tout de suite à gauche, dans cette petite ruelle ! La prudence le clouait pourtant sur place. Cet homme était probablement un Colonel, si ce n'était un Commandant : il pourrait l'écraser d'un simple claquement de doigt.

L'homme s'avança à sa hauteur. Il le reconnut comme étant l'homme qui partageait tous ses repas avec le Major Yann Bellerin. Grand, le crâne lisse et l'œil sombre, il était sanglé dans son uniforme si bien qu'il se dégageait de lui une autorité écrasante. S'il n'était pas aussi fier, Martin avouerait volontiers être terrifié.

- J'avais raison, remarqua l'homme ombrageux en relevant un sourcil. Tu es un Aspirant. Je t'ai déjà croisé au réfectoire !

Martin se liquéfia. Ses pouvoirs s'agitèrent, et il se fit violence pour les contenir. Cet homme semblait aussi aimable qu'une Ombre affamée, et il était inutile qu'il aggrave son cas !

- Je n'ai pas entendu parler d'une révocation. Et ce n'est pas non plus la période des permissions pour les Aspirants. Puis-je savoir ce que tu fais là ?

Malgré lui, Martin osa un regard sur le côté. S'il parvenait à le semer, il avait une chance de regagner les Halles. Un Garde seul n'oserait pas affronter la Confrérie des marchands, surtout pour s'en prendre à l'un des leurs !

- Je peux vous retourner la question, osa-t-il néanmoins en relevant la tête fièrement. Je pensais que les Gardes n'étaient pas les bienvenus par ici !

Et c'était peut dire ! Plus encore que les Ombres, la Milice méprisait les Sorciers, causes, selon eux, de tous les maux de la Terre. Ils prétendaient qu'en créant les Sorciers, les Hommes avaient attiré les Ombres, que ceux-ci n'étaient là que pour purifier l'Humanité !

Une ride du lion particulièrement marquée se creusa sur le font de l'officier.

- Je vois, trancha-t-il d'un ton cassant. Viens avec moi, je te pris.

Sans même attendre sa réponse, l'homme le dépassa et continua sa route d'une démarche déterminée. Martin lui emboîta le pas, le cœur battant à tout rompre. L'officier lui adressa un regard oblique.

- Tu me donnes ton nom, l'Aspirant ?

- Martin Wilson.

Il ignorait le sort que la Garde réservait aux déserteurs, et cette question occupait toutes ses pensées.

- Et vous ? préféra-t-il demander pour dissimuler sa terreur sous une bravade feinte.

- Capitaine Laurent Rizzi, répondit-il laconiquement. Guérisseur. Alors comme ça, tu voulais nous fausser compagnie ? Les premiers jours sont trop durs à supporter ?

- Vous ne m'avez toujours pas dit ce que vous fichez ici !

C'était peut-être un tort, mais Martin avait toujours considéré que l'attaque était la meilleure des défenses. En tout cas, son audace amusait visiblement le Guérisseur qui ne semblait plus aussi sinistre...

- Ça, tu vas très vite le savoir !

Martin fronça ses longs sourcils en constatant que le Garde l'avait emmené jusqu'à la Grande Pitié. L'hôpital était aussi laid que le reste de Trois Rivières. Quatre gros blocs taillés dans le béton étaient liés les uns aux autres par des passerelles de métal oxydé. Il n'était remarquable que par sa taille imposante – il dépassait en effet le reste des habitations de quatre étages – et par ses grandes fenêtres destinées qui sans doute devaient apporter beaucoup de lumière à l'intérieur.