ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du Bastion

Chapitre 31

Le soleil s'était couché sur la vallée. C'était la période de l'année que Martin détestait le plus, avec ses nuits trop longues et trop froides. Il laissa son regard se perdre dans l'obscurité du parc qu'il apercevait à travers la fenêtre. Un brin de nostalgie le saisit. Il repensait à la Fête du Solstice que les marchands des Halles devaient déjà être en train de préparer.

S'il avait l'hiver en horreur, il adorait cependant la Fête du Solstice qui comptait parmi ses souvenirs les plus heureux. La corporation des marchands prenait cette fête très au sérieux : c'était sans doute en cette période qu'ils vendaient le plus. Durant les deux semaines, les Halles s'animaient lors d'un festival qui atteignait son paroxysme le jour du Solstice d'Hiver où toutes les corporations se réunissaient dans une immense procession à travers la ville.

Martin doutait que la Garde en fasse autant. Après tout, c'était légitime : si Bois-aux-Roses pouvait célébrer le Solstice avec insouciance, c'était parce que le Bastion les protégeait des Ombres. Pour que les autres puissent en profiter, il fallait bien des gens pour se sacrifier et oublier ce genre de réjouissances. Il était de ceux-là.

- Bon, alors ! Tu rêvasses, Froissard ?

La douce voix de Valentine le tira de sa soudaine mélancolie. En s'étirant, il rejoignit le canapé où ses camarades l'attendaient.

- Alors ? se moqua-t-il. Vous vous êtes décidé à jouer ?

- Oui et c'est à ton tour, répondit Hugo. À moins que tu ne préfères t'arrêter là !

- Mais si tu fais ça, tu sais ce qui t'attends ! s'esclaffa Valentine.

Martin leva les yeux au ciel.

- Bien sûr que non ! Pour qui vous me prenez ?

Tous les trois s'adonnaient à un exercice d'endurance pour peaufiner la maîtrise de leurs pouvoirs. Quatre verres remplis d'eau étaient disposés sur la table basse. Le but du jeu était de modifier cet élément le plus longtemps possible. Le premier à faiblir recevait un gage.

Martin versa un petit d'eau sur la table avant de passer la main dessus. Il sentit des picotements lui parcourir les doigts. L'eau, attirée par sa paume, s'éleva en un mince filet avant de se figer dans la glace.

- Alors ? fanfaronna-t-il.

- C'est mignonnet, se moqua Valentine. Allez ! À toi, Hugo ! ajouta-t-elle en tapant dans ses mains.

- Houlà ! Doucement ! gloussa Martin. On va réveiller Étienne !

Affalé sur le ventre en travers du canapé, Étienne s'était en effet endormi sur son énorme livre, la tête sur son avant-bras. Un mince filet de bave s'écoulait de ses lèvres entrouvertes. Une envie perfide saisi Martin, celle de le lui geler pour lui clouer la langue.

Hugo ferma les yeux avant de positionner ses mains au-dessus de la petite sculpture de glace et de pincer ses doigts. Il fronça les sourcils en dessinant un ballet compliqué dans les airs. Les cristaux se désolidarisèrent alors avant de se tordre sans même se craqueler, jusqu'à prendre vaguement la forme d'un serpent.

- Très joli, se moqua Martin en haussant les sourcils. Il y a un message ?

- Non ! se défendit aussitôt Hugo. Ils sont juste faciles à faire !

- Allez ! C'est mon tour !

Valentine inspira profondément avant de fixer intensément la sculpture givrée. Cette dernière se brisa en mille morceaux qui s'élevèrent lentement dans les airs... juste au-dessus des têtes outrées d'Hugo et Martin qui tentèrent immédiatement de reculer pour lui échapper.