Chapitre 11

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Pour rejoindre les appartements privés de Yolande Vernet, il fallait grimper plus d'une centaine de marches. Ali s'était arrêté pour reprendre son souffle après en avoir arpenté une trentaine, Martin, plus habitué à l'exercice, à plus de la moitié. Emma et Yolande, elles, n'avaient pas faiblis, et Martin se demandait encore comment une vieille femme de quatre-vingt-deux ans pouvait réussir cet exploit plusieurs fois par jour !

Sa demeure était aussi colorée que sa tenue était triste – Martin ne se souvenait pas l'avoir vue porter autre chose qu'une sévère tunique grise. Composé d'une unique pièce à vivre, les murs avaient été dissimulés par de chatoyantes tentures aux couleurs chaudes. Le salon était saturé de poufs et de larges coussins, enfumé par des douzaines de bâtons d'encens et encombré d'une douzaine d'armoires qui débordaient de classeurs en tout genre.

Rares étaient les marchands à avoir été conviés chez la patronne. En général, c'était mauvais signe. Yolande Vernet avait la réputation d'avoir la dent dure – et elle avait de quoi ! C'était une femme intransigeante et qui ignorait la notion de pitié. Ce mot ne faisait d'ailleurs pas parti de son vocabulaire ! Elle régnait en maîtresse sur la confrérie des marchands, et ce sans partage. Elle était curieusement au courant de tout ce qui se passait sous les voûtes des Halles, savait exactement ce qu'on y vendait et à quel prix. On la craignait et on la respectait d'autant plus qu'elle avait le sens du commerce et savait faire fructifier ses affaires. C'était bien simple : qui se plaçait sous son patronage voyait son chiffre d'affaire être multiplié par deux !

C'était elle qui avait accueilli Martin alors qu'il n'avait que dix ans. Elle lui avait offert un petit travail en échange d'un toit et de deux repas par jour – inespérée pour un petit orphelin de Grand'Ronce ! Trop heureux de se sentir en sécurité et d'avoir retrouvé des repères, Martin n'avait pas alors pas réalisé dans quoi il mettait les pieds. Rejoindre la Confrérie des marchands, c'était un peu s'y enterrer. Malgré tout, il ne regrettait rien. Il l'aimait comme on craint et on respecte une grand-mère.

Dans un grognement, elle se laissa tomber sur un fauteuil recouvert de coussins. Sans prendre la peine d'en demander la permission, Emma l'imita et Martin songea qu'ils devraient sérieusement revoir les règles élémentaires de la politesse.

- Sers-nous du café, Ali ! ordonna Yolande en pointant un index tordu vers le coin cuisine. Et toi, veux-tu donc t'asseoir ! siffla-t-elle ensuite en observant le rafleur d'un œil critique. T'as l'air d'une cloche a pas savoir quoi faire de tes pieds !

« Toujours aussi aimable ! » Ravalant la réplique qui lui brûlait les lèvres, Martin se laissa tomber sur un pouf avec un grognement. L'œil sombre, il observa son vieil ami poser une vieille cafetière dans la cendre chaude du foyer avant d'en verser le contenu dans trois tasses.

- Certainement pas, ma fille ! s'époumona la vieille femme en repoussant la petite main d'Emma d'une petite tape. N'me dis pas que tu la laisses boire du café ?

- J'ai pas les moyens de me payer du café, maugréa Martin.

Yolande se pencha vers la petite fille et lui accorda un sourire.

- Va te chercher du lait dans la cuisine, ma Petite. Et si tu fouilles un petit peu, t'y trouveras sans doute des gâteaux.

Emma ne se fit pas prier.

- Bien ! Il est temps de causer ! assura Yolande après s'être éclairci la voix. Et j'veux pas d'histoires ! Rien que la vérité, c'est compris ?

Son visage ridé comme une vieille pomme se tourna ostensiblement vers Martin. Il se contenta de lever les yeux au ciel en saisissant de la tasse que lui tendait Ali.

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant