Il était près de midi lorsque Martin s'autorisa à s'asseoir un instant, éreinté. Les victimes se comptaient par dizaine, les blessés par centaines et les dégâts considérables, mais lui, il ne ressentait plus rien. Il s'était vidé de toute substance et ne faisait plus que suivre le mouvement, obsédé par une seule idée, celle de sauver le plus de vies possible.
Tout son corps lui faisait mal, comme-ci chacun de ses os étaient en feu. C'était à croire que sa magie était en train de le dévorer de l'intérieur. Jamais il n'avait été contraint de s'en servir autant, ni même à une telle intensité. En était-il seulement encore capable ?
- Martin ? hésita Valentine. Ça va ?
Lentement, il releva la tête vers sa consœur. Elle était recouverte de suie, et il en déduisit qu'il ne devait pas être plus reluisant.
- Ouais. Juste... j'ai besoin de cinq minutes, d'accord ?
- Tu veux que j'appelle Étienne ?
- Non ! éructa Martin en posant ses paumes sur ses genoux, le souffle court. Il a mieux à faire ! J'ai juste besoin de souffler, tu vois ?
Hugo se laissa tomber à ses côtés en grimaçant. Ses traits étaient tirés, et ses cheveux blonds avaient été noircis par la cendre. Lui non plus n'avait pas ménagé ses efforts.
Tous les trois échangèrent un regard hanté. Ils n'avaient pas besoin de mots pour se comprendre. De savoir qu'ils n'avaient pas pu sauver tout le monde ne les quitteraient jamais.
Martin passa une main sur son visage fatigué. Une image en particulier hanterait ses cauchemars jusqu'à la fin de ses jours. Celui de cette petite fille, étouffée par la fumée. Elle était entrée dans la mort les yeux grands ouverts, et vêtue de son petit pyjama. Elle ne lui ressemblait pas, mais Martin n'avait pas pu s'empêcher de la comparer à Emma. Avec beaucoup de déférence, il l'avait portée jusqu'au dispensaire, incapable de la laisser au milieu des ruines.
- Tout va bien ?
Les trois Aspirants firent mine de se lever pour saluer le Major Bellerin, mais d'un geste de la main, il les dispensa d'une telle obligation.
- Vous avez l'air épuisé, constata-t-il.
- Ne vous inquiétez pas, Major, répondit Hugo d'une voix sans âme. On se reposait un instant, c'est tout ! On va repartir tout de suite !
- Ce n'était pas un reproche, sourit doucement leur supérieur. Vous vous êtes beaucoup donné cette nuit. Peut-être même plus que la plupart de vos camarades, d'ailleurs.
Il prit appuie des deux mains sur sa canne. Sa jambe blessée avait l'air de le faire terriblement souffrir. Martin s'en voulut alors de se montrer aussi faible : lui non plus ne s'était pas ménagé, et ce, malgré son handicap. Une curiosité malsaine le saisit, et il se retint de lui demander s'il avait perdu l'usage de sa jambe à la suite d'un terrible combat avec une Ombre, ou s'il était né avec une difformité. Après tout, ça ne le regardait pas !
- Je veux que vous sachiez que je suis fier de vous, souffla l'homme. Mais je vais devoir vous demander de retourner au Bastion. Ce n'est pas une punition ! ajouta-t-il devant leurs mines horrifiées. Vous avez fait votre devoir, vous êtes même allé au-delà de ce que j'attendais de vous. L'incendie est maîtrisé et vous avez sauvé tous ceux qui pouvaient l'être. S'il reste des survivants, c'est à des Gardes plus expérimentés de les retrouver.
- Nous pouvons encore être utiles ! protesta Martin.
Il avait la terrifiante sensation qu'on était en train de le réformer. Il serra les poings, furieux. Bon sang ! Il avait choisi d'être Garde pour s'oublier et se mettre au service de la ville, pas pour être ménagé parce qu'il avait un petit coup de fatigue !
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ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du Bastion
FantastiqueDans un monde où d'étranges Ombres ont réduit à néant la civilisation humaine, Martin Wilson, un jeune Sorcier qui possède le don de glace, sauve la vie d'Emma, une petite orpheline. Il est alors repéré par le Major Yann Bellerin qui lui propose de...