Chapitre 5

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- Je ne t'ai pas acheté une écharpe pour qu'elle traîne par terre, Emma !

- Mais elle gratte !

- J'ai pas le temps de m'occuper d'une petite fille malade, alors enroule-la autour de ton cou et dépêche-toi !

Un vent violent s'était levé ce jour-là. Il était sec, froid, et suffisamment bruyant pour que Martin soit obligé de hurler pour se faire entendre. Ceci dit, ça ne le changeait pas vraiment de l'ordinaire. Il vivait depuis un peu plus d'un mois avec Emma, et il lui semblait que cette sale mioche reprenait du poids, plus elle devenait insolente. Malgré tout, Martin ne pouvait s'empêcher de sourire à chacune de ses bêtises.

L'improbable duo gravit péniblement les trop longues marches qui menaient jusqu'aux remparts de Bellevue. À mesure qu'ils montaient péniblement ce vieil escalier taillé dans la pierre, les bourrasques devenaient violentes. Les longs cheveux de Emma se dressaient sur sa tête avant de revenir sur son visage, ce qui avait l'air de beaucoup l'amuser. Martin, lui, songeait qu'au moins, ils ne seraient pas gênés par la foule ! La promenade le long des remparts était particulièrement populaire, sauf lorsque la mer était déchaînée, comme aujourd'hui.

- Je n'en reviens pas que tu n'aies jamais vu la mer, hurla le Sorcier. T'es jamais sortie de Grand'Ronces ou quoi ?

Emma franchit les derniers degrés en quelques bonds. Martin l'y suivit, et éclata franchement de rire en la voyant sautiller péniblement pour atteindre le rebord.

- Hé ! Pas si vite, soupira-t-il en la saisissant par les aisselles pour la soulever et la prendre dans ses bras. Alors ? T'en dis quoi ?

La petite en eut le souffle coupé. Il fallait dire que le quartier portait effectivement très bien son nom : Bellevue surplombait les falaises et offrait une perspective saisissante sur la mer qui s'étendait jusqu'à l'infini, au sud de Bois-aux-Roses. Ce jour-là, d'immenses vagues se brisaient sur la jetée dans un fracas terrible. Par-dessus la houle, les mouettes ricanaient en décrivant de larges cercles à la recherche de sardines ou d'anchois, un spectacle particulièrement prisé par les habitants.

Se penchant en contre-bas, Emma pu admirer, par-delà du parapet de pierres, les rochers sombres balayés par les flots. Fascinée, elle tordit le cou pour en apercevoir davantage, avant de relever la tête vers l'horizon. Au loin, il n'y avait rien, rien que les nuages gris et le large qui se mêlaient l'un à l'autre.

- On pourra se baigner tout à l'heure ? interrogea l'enfant.

- Et attraper une pneumonie ? Hors de question ! On verra cet été, mais pour l'instant c'est même pas la peine d'y penser !

- Mais je veux m'approcher de l'eau !

- Certainement pas ! Allez, viens ! soupira Martin en la reposant à terre. On va faire le tour !

D'un pas tranquille, Emma et Martin déambulèrent le long des remparts, profitant du paysage fantastique qui s'offraient à elles. En serrant la main de sa cadette comme s'il avait peur de la perdre, Martin lui parla des vieux bateaux qui naviguaient par beau temps et que l'on pouvait admirer au loin. Ils revenaient en fin de matinées, les filets remplis de poissons, et d'objets en plastiques laissés par les Anciens.

- Mais pourquoi ils jetaient des objets dans l'eau ? Moi, affirma-t-elle le nez en l'air, j'crois que les Anciens étaient vraiment stupides !

Difficile de lui donner tort ! Les rares écrits qui leur restaient évoquaient des mers épuisées, des sols acides et un air vicié par des villes tentaculaires. Aujourd'hui, c'était difficile à imaginer – et de l'expliquer à une môme de huit ans !

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant