Chapitre 8

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 Le lendemain, aux aurores, Martin s'extirpa péniblement des draps en essayant de ne pas réveiller Emma. La petite fille avait passé une bonne partie de la nuit à faire d'horribles cauchemars dans lesquels elle se retrouvait de nouveau seule. Le cœur lourd, Martin songea que c'était précisément au moment où il risquait de la perdre qu'il comprenait à quel point sa responsabilité était grande, et à quel point Emma avait pris une place importante dans sa vie.

Telle un condamné qui s'apprêtait à monter à l'échafaud, Martin prit la peine de se débarbouiller la figure, appréciant l'eau fraîche sur sa peau en songeant que c'était peut-être la dernière fois qu'il pourrait en profiter, enfila les vêtements les plus propres qu'il possédait avant de secouer l'épaule de la petite fille. Emma était étrangement silencieuse. Elle qui d'ordinaire adorait commenter le moindre de ses faits et gestes, se contentait de le regarder préparer le petit déjeuner, assise en tailleur sur le lit, parfaitement immobile.

- Je t'en pris Emma, souffla Martin le cœur au bord des lèvres, dis-moi quelque chose. N'importe quoi, Petite Peste, mais arrête de me regarder comme-ci j'allais disparaître !

Emma inspira profondément avant de déclarer, d'un ton sans égal.

- T'es encore en train de faire brûler les œufs.

Et tandis que Martin retenait un juron en essayant de réparer les dégâts, Emma se mit à rire en se tenant les côtes. Bientôt le jeune rafleur l'imita. La scène, aux yeux de n'importe qui, aurait pu paraître ridicule : ils devaient avoir l'air de deux idiots à essayer de sauver ce qui pouvait l'être dans la poêle, mais ces quelques secondes d'insouciances insufflèrent à Martin le courage qui lui manquait.

Après avoir fourré les maigres possessions d'Emma dans une petite valise, ils quittèrent l'appartement. Blottis l'une contre l'autre, ils bravèrent le froid matinal jusqu'aux Halles qui déjà s'agitaient comme une immense ruche. Ali les attendait sur le seuil de sa boutique, la mine sombre. Le cœur au bord des lèvres, Martin laissa tomber la valise et souleva la petite fille qui ne pesait rien.

- Tu..., hésita le rafleur en se tournant vers son vieil ami.

- Ne dis rien, le coupa-t-il, un rictus sur les lèvres. À moins que tu n'aies quelque chose de très profond à dire !

Martin gloussa.

- J'ai jamais été très douée pour dire ce que je ressens.

- C'est parce que tu as la cervelle d'un moineau, mon pauvre garçon !

Emma se pressa davantage contre lui, et Martin eut bien du mal à la reposer à terre tant elle s'acharnait à rester dans ses bras.

- Non ! Non je veux pas ! hurlait-elle.

- Emma, arrête par pitié !

- JE VEUX PAS !

- ÇA SUFFIT PETITE IDIOTE !

L'un comme l'autre se figèrent. Jamais encore Martin n'avait crié sur Emma. Dépassé par ses émotions, ses mots s'étaient égarés au-delà sa pensée, et il regretta amèrement ses paroles lorsque la gosse se mit à hoqueter. Non, il ne pouvait pas partir comme ça ! Ils ne pouvaient pas se quitter sur des hurlements !

- Emma, gémit-il en la reposant à terre et en s'agenouillant pour se mettre à sa hauteur. J'suis désolé. J'suis désolé, Emma ! J'suis vraiment désolé !

- T'en vas pas, gémit l'enfant. S'il te plaît, j'veux pas que tu t'en ailles...

- Je vais revenir. Je te promets que je reviendrais. T'es... tu es...

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant