Chapitre 15

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 Martin suivit Étienne à travers les bâtiments, en prenant grand soin d'ignorer sa logorrhée incessante. Son bavardage aurait sans doute pu l'intéresser, si le Guérisseur ne s'était pas montré aussi pédant. De tout ce babillage, Martin avait vaguement compris que le Bastion reposait sur une histoire vieille de plus de deux mille ans, que tel roi avait construit la grande tour carrée – qui servait aujourd'hui de vigie –, et que tel autre avait construit le phare – qui servait de loges à la Commanderie, – sans doute dans l'espoir de marquer l'Histoire. « Une belle réussite ! » se moqua Martin en admirant les remparts. Personne, aujourd'hui, ne se souvenait de leurs noms.

Enfin, après cet interminable monologue, Étienne lui désigna la garnison où logeaient les Aspirants. Si le reste du Bastion revêtait un caractère monacal, le corps de logis réservé aux étudiants, lui, détonnait dans le paysage ; au milieu de tous ces bâtiments piquetés de gris se dressait un bloc carré à cinq étage, d'un rose saumon étonnant aux larges fenêtres agrémentées d'un appareillage de pierre d'un blanc étincelant. Un sourire illumina la mine triste d'un Martin irrité. C'était moins pire qu'il ne se l'était imaginé !

- On a l'appartement au quatrième, lui apprit Étienne. Celui qui fait l'angle.

Martin du encore avaler une interminable série de marches puis traverser deux corridors aux murs jaunis avant d'atteindre l'appartement 203. Comme Martin n'osait pas entrer, Étienne soupira bruyamment avant de désigner son encombrant chargement du menton.

- Tu vois bien que je n'ai que deux mains !

- C'est vrai, persifla l'intéressé en posant la main sur la poignée. Deux mains, mais visiblement pas assez de jugeote pour emporter un sac !

Au moment où Étienne allait lui répondre, ce fut la porte qui s'ouvrit la volée, surprenant les deux coqs qui s'affrontaient bêtement sur son seuil ! Deux bras frêles enserrèrent le cou de Martin. Ils appartenaient à une jeune femme dont les cheveux courts, coupés au carré, n'étaient pas sans lui rappeler quelqu'un.

- J'étais sûre que ce serait toi ! J'en étais sûre ! Hé ! Étienne ! hurlait-elle dans ses oreilles. Je l'avais dit ou je l'avais pas dit ?

- Valentine ? hésita Martin en se reculant.

C'était bien elle, en effet. Sans son manteau d'Aspirante, elle était beaucoup moins impressionnante, et semblait au contraire toute menue dans ces vêtements visiblement trop grands. Son visage rond, lui, n'avait rien perdu de sa douceur.

- Tu te souviens de moi ? sourit-elle davantage encore si c'était possible.

- Évidemment, gloussa Martin en levant les yeux au ciel. Comment j'aurai pu oublier ?

- Et tes pouvoirs ? Ça va mieux ? Tu arrives à en faire quelque chose ?

- Comment ça, il ne maîtrise pas ses pouvoirs ? releva Étienne en fronçant les sourcils. On va vraiment devoir se coltiner un Destructeur qui ne sait pas se contrôler ?

Ignorant la remarque d'Étienne, Valentine avait déjà saisi le poignet de Martin pour le faire rentrer de force à l'intérieur. Un instant, il se demanda comment un corps aussi frêle pouvoir contenir autant d'énergie.

- Bienvenue chez toi ! claironna-t-elle. On partage un appartement à quatre ! Toi, t'as la chambre du fond ! Bon, c'est la plus petite, mais hé ! T'es le dernier arrivé, hein ? On a un petit salon qu'on partage, et la salle de bain est là ! Je suis sûre que tu as hâte de t'installer !

- J'ai surtout hâte que tu me arrêtes de me secouer comme un prunier, répliqua Martin – dans le vide semblait-il, puisque Valentine ne semblait pas décidée à le libérer.

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant