ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du Bastion

Chapitre 24

 L'hiver s'était installé à Bois-aux-Roses. En deux semaines, le paysage s'était radicalement métamorphosé. Le petit ruisseau qui parcourait la plaine était sorti de son lit pour devenir un véritable torrent. Il pleuvait depuis plus de dix jours. C'était un véritable déluge qui alourdissait les manteaux et assombrissait l'horizon.

Parce que la ville avait été reconstruite dans l'urgence, l'eau s'y écoulait mal. Les quartiers les plus au Nord étaient régulièrement inondés. Les habitants n'en faisaient cependant pas grand cas. À Harfeuille, à l'Aulne Dormant et dans les Bas-Quartiers, les gens en avaient l'habitude. Ils étaient suffisamment ingénieux pour protéger leurs maisons et s'accommoder de ces pluies en se débarrassant eux même des eaux stagnantes. Elles étaient même attendues par les enfants avec une certaine impatience ! Les flaques gèleraient dans quelques semaines, créant de petites patinoires naturelles où ils pourraient allègrement s'abîmer les genoux et les fesses.

Depuis longtemps, les quartiers populaires avaient appris à ne plus compter sur la force publique, si ce n'était pour les protéger des Ombres.

Martin, épuisé par sa course matinale, se plia en deux en posant les mains sur ses genoux. En gémissant, il déroula sa colonne vertébrale avant de porter son regard au loin, vers le Nord. Sa course solitaire l'avait mené jusque sur les remparts qui isolaient le Bastion du reste de la ville. De là où il se trouvait, il pouvait distinguer les Halles où il avait passé tant de temps. Il sourit.

Aujourd'hui, c'était le jour des visites. Trois mois après son entrée à l'Académie, il allait enfin pouvoir serrer sa petite Emma dans ses bras ! Il sentit son cœur battre plus fort à cette pensée, et ses pouvoirs vibrer de joie comme le ronronnement d'un gros chat. Il n'eut qu'à prendre une grande inspiration pour la faire taire.

Il aurait aimé avoir le pouvoir d'accélérer le temps, quand bien même un tel prodige était impossible. Mille questions se bousculaient dans sa tête ! Emma avait-elle changé en si peu de temps ? L'avait-elle oublié ? Est-ce qu'il lui avait manqué ?

Martin devait admettre qu'il avait peur de la revoir. Il avait la sensation de ne pas être à la hauteur de cette petite qui était entrée dans sa vie par hasard, et l'idée même de la décevoir le terrifiait.

S'il avait appris à maîtriser ses pouvoirs grâces à Valentine, il ne se sentait toujours pas apte à intégrer la Garde. Le Colonel Grasset, si elle avait admis qu'il s'améliorait, assurait néanmoins que c'était loin d'être suffisant, et pour cause ! Martin avait encore des difficultés à viser correctement des cibles, ou à contrôler ses émotions face au danger – et donc ne pas se figer instinctivement ! Martin s'était inconsciemment servi de sa magie pour se protéger durant toute sa vie, il devait désormais apprendre à s'oublier pour protéger les autres.

Un soupir lui échappa. Il avait conscience d'être terriblement en retard sur le reste de l'Académie. Là où l'ensemble de ses camarades apprenaient déjà des stratégies défensives qui leur seraient utiles sur le terrain, il restait à la traîne. Ariane, sans doute prise de pitié, lui donnait même un cours particulier une fois par semaine pour l'aider à dompter sa magie.

- Je ne désespère pas, avait-elle souri un soir tandis que son élève avait gelé les escaliers par accident. On va finir par y arriver tous les deux ! Et puis, c'est déjà bien mieux qu'au départ, mon pauvre Martin ! Au moins, maintenant, quand tu te sers de tes pouvoirs, il se passe quelque chose !

Martin eut un rire amer. C'était précisément pour ça qu'il avait refusé de se reposer comme tous les autres. Il ne pouvait pas se payer le luxe de prendre un jour de repos : il devait progresser au plus vite s'il voulait mériter sa place parmi les Gardes de la cité ! Désireux de ne pas relâcher ses efforts, il avait vainement essayé de réveiller Valentine et Étienne avant de se résigner à aller courir seul.