Chapitre 14

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Quelques semaines s'écoulèrent encore, charriant avec elles le vent glacial du nord. La ville semblait s'être endormie, se recroquevillant frileusement derrière son enceinte. Pour un temps les Ombres s'étaient éloignées, retournant se terrer dans les hauteurs, sans que l'on puisse s'expliquer pourquoi. Peut-être que les Ombres n'aimaient tout simplement pas l'hiver ?

- Tu vas tomber malade ! Mets ton écharpe correctement !

- Mais elle pique toujours !

- Emma... ton écharpe !

Et tandis qu'Ali levait les yeux au ciel, Emma s'exécutait, les lèvres boudeuses, effectuant maladroitement un tour de plus autour de son petit cou. Martin, les poings sur les hanches, surveillait la manœuvre d'un œil critique. Lorsqu'il estima que la petite s'était suffisamment couverte, il s'agenouilla face à elle. Au moment où il ouvrit les bras, elle vint s'y blottir. Il l'étreignit avec force, déposa délicatement un baiser dans ses longs cheveux roux qu'il avait brossés pour la dernière fois.

Ces dernières semaines avaient été éprouvantes, tant pour Emma que pour Martin. Le jeune rafleur avait dû vendre tout ce qui restait de marchandise, se débarrasser la plupart de ses effets personnels – heureusement, il ne possédait pas grand-chose – avant de rendre son appartement et de se réfugier chez Ali pour quelques jours.

À présent, il était temps de se séparer. Cette fois, cependant, Emma ne pleurait pas. Si la petite fille était évidemment triste de devoir se séparer de Martin, elle n'en montrait vaillamment rien.

- Tu m'oublieras pas, hein ?

- Oh, bah bien sûr que si ! se moqua Martin, le sourire aux lèvres. Je vais t'oublier dès l'instant où j'aurai franchi la porte !

- Mais arrête de te moquer ! s'insurgea la petite en essayant de se dégager.

Martin éclata de rire avant de la ramener de force contre lui, plus ému qu'il ne voulait l'admettre. Sur le ton de la confidence, il lui chuchota :

- Tu feras bien tout ce qu'on a dit, hein ?

- J'obéirai à Ali, j'irai à l'école à la rentrée et si Yolande me propose du travail, je lui dirais « non » ! ânonna doctement l'enfant.

Martin resserra une dernière fois son étreinte avant de la libérer en échangeant un dernier regard complice. Puis, le jeune homme se redressa et ramassant son maigre baluchon, il le jeta sur ses épaules.

- T'en fais pas, assura Ali. Je veillerai sur ta petite protégée. Tu peux partir l'esprit tranquille. Et par pitié... ne nous fait pas honte, Tintin !

Celui qui n'était désormais plus un rafleur leva les yeux au ciel. Du pouce, il caressa la joue d'Emma, le sourire aux lèvres mais le cœur lourd.

- Bon, lâcha-t-il les bras ballants. Il faut que j'y aille. À plus tard ma Petite Peste !

- Soit pas un gros nul, rétorqua la petite fille en retenant péniblement de grosses larmes. Et n'oublie pas de lui demander au Major, hein ?

Martin gloussa. Emma regrettait un peu l'oiseau magique que le Major Bellerin était prêt à lui offrir. Il fallait dire que le petit pliage était probablement le meilleur des jouets que l'on puisse inventer : il ne demandait aucun soin particulier et se comportait peu ou prou comme un vrai animal.

- Promis ! Dès que je le verrai je lui demanderai, jura-t-il en posant théâtralement la main sur son cœur.

Prenant une grande inspiration, Martin trouva le courage de tourner les talons et de s'avancer jusqu'au grand portique du Bastion. Il serra les mains si fort sur la sangle de sa besace que ses articulations en étaient devenues blanches. Tant mieux : au moins le Garde qui contrôlait les entrées ne les verraient pas trembler.

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant