Interlude

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 Dans le grand hall d'une vieille usine toute d'acier et de tôle que la nature avait éventré, les enfants riaient en se poursuivant les uns les autres dans un jeu qu'eux-seuls visiblement comprenaient. Il était encore très tôt. Julien les observait d'un œil amusé, accoudé à la rambarde rouillée. Ils étaient une dizaine, entre huit et quinze ans, et tous étaient des orphelins comme lui. La plupart d'entre eux venaient de ce qu'il restait de Grand'Ronce. Les autres avaient été sauvés, Cour des Rois. C'était leurs cris qui l'avait réveillé. De toutes les manières, il n'avait pas besoin de beaucoup de sommeil.

Il gloussa tandis que la petite Nandi faisait apparaître au creux de ses mains de petites étincelles. Ils se servaient de leurs pouvoirs sans même y penser. Pour eux, tout semblait facile. Leurs magies n'étaient influencées que par leur imagination débordante, si bien qu'il assistait à de véritables prouesses. Il les veillait d'un œil attendri.

Ces petits Sorciers qui s'amusaient désormais à créer des bulles géantes, avaient été sauvés des griffes de la Milice. Au même titre que les adultes, ces enfants faisaient partie de la Horde. Julien aurait aimé appartenir à un groupe de Sorciers bien plus tôt. Il aurait appris à maîtriser ses pouvoirs bien plus tôt. Et il n'aurait peut-être pas perdu sa sœur...

Il frémit en songeant à Camille, son aînée. Celle qui l'avait aimé comme une mère, protégé durant ses plus jeunes années, avant de tomber entre les griffes de la Milice. Tous les deux étaient passés par leur orphelinat gris et sinistre où on s'était acharné à brider leurs pouvoirs par la violence et les coups. Ils avaient essayé de briser sa Magie sans jamais pouvoir y parvenir. Elle s'était déjà enracinée en lui.

Il leur avait échappé. Pas elle.

Malgré lui, il inspecta ses mains recouvertes de cicatrices. Il serra les poings pour contenir ses tremblements. Il n'avait revu Camille qu'une fois. Une unique fois où il ne l'avait pas reconnue. Elle était maigre, les yeux ternes, les joues creuses et la tête basse. Ils étaient parvenus à leurs fins. La brûlure des gifles et le claquement des ceintures l'avaient vidée de sa substance.

Les Miliciens qui haïssaient les Sorciers recrutaient pourtant chez eux dans l'espoir de les contrôler et de les faire disparaître. Peut-être parce qu'ils représentaient un espoir.

- Ils sont fantastiques, n'est-ce pas ?

Julien sursauta avant de saluer précipitamment l'homme qui se tenait à ses côtés. Il ne l'avait pas entendu arrivé. Malgré lui, il frémit. Il avait le plus grand respect pour cet homme, cet espoir pour tous les Sorciers de Bois-aux-Roses, malgré tout, il devait admettre que sa stature le terrifiait.

- Gérude, hésita-t-il.

- Ils sont très doués, observait-il avec un petit sourire en coin. Ils apprendront vite. Avec eux, ce sera plus facile.

Malgré lui, Julien se redressa dans une attitude menaçante. Ses yeux se rétrécirent de colère.

- On ne les a pas sauvés pour vous, Gérude ! trancha-t-il. Ce ne sont que des enfants ! Ils n'ont pas à servir qui que ce soit !

- J'en ai bien conscience. C'est moi, et toute la Horde qui somme à leur service, et pas le contraire, je te rassure.

- Et l'incendie de Cour des Rois, c'était aussi pour eux ? C'est comme ça que vous avez convaincu Pacôme de réitérer l'exploit de Grand'Ronces ?

Gérude fronça les sourcils et l'espace d'un instant, Julien craint d'être allé trop loin. Derrière son apparence soignée et élégante, cet homme était redoutable. Pourtant, il se contenta de lui sourire.

ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant