ALLÉGEANCE {Tome 1} Les Murmures du Bastion

Chapitre 9

 Le bureau était aussi spartiate qu'on pouvait s'y attendre. Une fenêtre qui ne donnait sur rien. Des étagères sur lesquelles s'entassaient des dossiers dans un désordre organisé et quelques plantes mourantes abandonnées dans un coin pour toute décoration.

Installé derrière un bureau simple, celui qui était visiblement le Major Yann Bellerin était en train d'écrire sur un épais registre, si bien que Martin ne pouvait pas voir son visage. Il portait un long manteau sombre dont les galons étaient éclairés par la lumière crue d'une ampoule grésillante.

- Je vois que mon oiseau t'as guidé jusque-là, sourit le Major sans même prendre la peine de relever la tête. Je t'en pris, assieds-toi.

Martin obéit, veillant cependant à ne pas se mettre à son aise. Les pieds solidement ancrés au sol, les genoux repliés, il était prêt à bondir à la moindre menace.

Lorsque le Major reposa enfin sa plume et croisa son regard, il sentit son cœur manquer un battement.

Ce visage... il ne pouvait que le reconnaître, même après dix ans ! Il n'avait pas changé. Toujours ces mêmes yeux bleus, ce nez trop long et cette légère barbe grisonnante. Le poids des années semblait lui avoir échappé, et ne se devinait qu'à ces cheveux qui s'étaient grisés avec le temps.

- Vous, hésita Martin, vous êtes...

- Le Garde qui a pris un petit garçon dans ses bras il y a quelque chose comme quoi ? Plus de dix ans ? sourit le Major. Oui, c'est bien moi. Moi aussi je suis ravi de te revoir, et de constater que tu vas bien.

Martin le contempla un instant, envahi par une kyrielle d'émotions contraires. Les souvenirs revenaient avec d'autant plus de violence que cet homme était à ses yeux d'enfant un héros, son héros, qu'il se souvenait de chacun de ses mots réconfortant... et qu'il y croyait encore !

- Tu n'as pas beaucoup grandi depuis la dernière fois, remarqua le Major Bellerin.

La respiration de Martin se tarit soudain. Son cœur tambourinait durement contre sa poitrine. Aussitôt, sa magie se réveilla, et il inspira profondément pour se forcer au calme. Si ses pouvoirs prenaient le dessus et attaquait le Major, ça ne plaiderait certainement pas en sa faveur !

- Qu'est-ce que vous me voulez ? attaqua le rafleur, ne pouvant en supporter davantage. Pourquoi vous m'arrêtez pas ?

- T'arrêter ? Pourquoi je ferais ça ? Et pourquoi je prendrais la peine de te faire venir ici plutôt que de donner un ordre ?

Le Major Bellerin gloussa. Il se laissa aller sur son siège non sans une certaine arrogance. Martin remarqua alors les broderies délicates qui ornaient son manteau. Les brocards étaient somptueux, et il se demanda un instant à quoi ils correspondaient.

- Si tu t'inquiètes pour tes amis marchands, rassure-toi : nous ne nous intéressons pas à vos petits trafics. On n'est pas là pour faire le boulot de la Milice. Au fait, c'est toujours Yolande Vernet qui tiens les rênes ?

- Vous connaissez Yolande ? sursauta Martin.

- Bien sûr. Nous connaissons tous ceux qui comptent à Bois-aux-Roses. C'est toujours utile.

Les mains de Martin se couvrirent de glace. Il sentait qu'il perdait le contrôle. Sa magie semblait interpréter la présence de tout autre Sorcier comme une véritable menace, et en particulier celle du Major. « Calme-toi, s'il te plaît ! Tu vas nous causer encore plus de problème ! »

Yann Bellerin, qui devait très certain avoir remarqué son trouble, fit pourtant semblant de ne rien voir.

- Tu veux boire quelque chose ?