8

50 8 0
                                    

Decimus et Septus venaient d'être détachés de leurs chevalets pour s'écrouler au sol, faibles et exsangues, livides et tremblants, incapables de bouger et à peine conscients. Silencieusement, Ophidius s'approcha d'eux avant de se mettre à genoux et de tirer leurs têtes sur ses genoux et de poser ses avant-bras contre leurs lèvres en pleurant.

— Allez, les garçons... Buvez, ne me laissez pas toute seule... J'ai besoin de vous...

Septus entrouvrit difficilement la bouche pour venir poser ses canines contre la peau diaphane de la femme, avant de laisser le poids de sa tête permettre à ses dents de percer la chair et laisser le sang parcourir son corps à nouveau. Moins d'un litre plus tard, il se força à retirer sa bouche des veines nourricières, sachant pertinemment que s'il se laissait aller, il saignerait Ophidius à blanc. Faisant appel à chaque once de sa détermination, il se releva en s'appuyant sur le mur et un des chevalets, avant d'avancer d'un pas hésitant.

— Où vas-tu ? Decimus a besoin de nous !

— Je sais. Le Maître garde du sang ici. Il veut nous punir, pas nous tuer. Les goules doivent nous maintenir en vie quoi qu'il arrive...

Titubant, il arriva à une commode qu'il ouvrit, révélant des poches de sang à foison. Tremblant, presque fébrile, il se saisit de l'une d'entre elles et y planta ses crocs, avant de la vider goulument. Sept poches plus tard, du sang coulant des lèvres, il se redressa en soupirant, avant d'en prendre une dizaine dans les bras et de retourner auprès des siens. Jetant la majorité des poches en plastique au sol, il en tendit une à Ophidius.

— Tiens. Vu tes yeux, il t'a vraiment fait du mal... Tu vas en avoir besoin.

Baissant les yeux, Ophidius prit ce cadeau et y planta les crocs avec une timide délicatesse, alors que Decimus la dévisageait impassible. Il savait comment son père pouvait aimer pour l'avoir déjà vu faire, et il n'y avait que ce traitement qui pouvait faire fermer la grande gueule de cette femme brisée à ces pieds. Il la plaignit intérieurement tout en remerciant le destin de ne pas l'avoir fait femme, ou son Maître gai. Sortant de ses pensées, il s'agenouilla devant Septus et lui redressa la tête, avant d'y glisser une poche de sang sur laquelle il écrasa la mâchoire de son frère.

— Vas-y, bois ça cul-sec.

A mesure que le liquide s'écoulait par les canines voraces, les couleurs reprenaient petit à petit pied sur le terrain dont elles avaient été chassées par la supplique, la torture et la saignée. Quand enfin Septus fut suffisamment rassasié pour reprendre pleinement connaissance, il se redressa avant de se saisir lourdement d'un autre litre de sang qu'il aspira lentement, tandis que Decimus allait récupérer leurs vestes. Il jeta à son compagnon celle qui lui appartenait, avant de poser la sienne sur les épaules d'Ophidius.

— Vu ta tête, tu as morflé...

Ophidius détourna le regard tout en finissant son troisième litre, et Decimus pu voir sa nuque. Ce n'était pas des traces de morsures basiques qui y étaient, mais celles d'un vampire transformé. Une quinzaine de traces de crocs formaient un cercle de plaies purulentes que les capacités régénératives de la jeune femme peinaient à guérir, et le guerrier comprit qu'elle était elle-même fortement diminuée quand elle tenta de les ramener à elle avec son sang. Silencieusement, il s'assit en tailleur à ses côtés et posa sa main sur son épaule. Surprise, elle le dévisagea, essayant de comprendre ce qui pouvait justifier un contact physique chez cet homme distant de tout et de tous.

— Merci d'avoir risqué ta vie pour nous ramener.

Les larmes aux yeux devant ce qui était un câlin et de chaleureuses félicitations pour cet homme, Ophidius se resaisit et détourna la tête sèchement, comme si elle venait d'être accusée de faiblesse.

— Je l'ai fait pour moi, pas pour vous ! Il est toujours moins brutal quand il passe d'abord ses nerfs sur vos sales gueules d'incompétents.

Septus, qui n'avait rien loupé de la scène, se retint de rigoler, avant de reprendre plus sérieusement.

— En tout cas, on a salement merdé... Faut plus s'attendre aux honneurs et aux transmissions de pouvoir avant un moment...

Decimus croisa les bras.

— En es-tu sûr ? Je vois bien une solution, moi.

— Laquelle ? Lui ramener le louveteau ? Il va être sous surveillance jusqu'à la fin de sa vie, maintenant.

— A voir. Même la plus parfaite des murailles a une faille. Et la faille de la sienne n'est pas physique.

Ophidius regarda son coéquipier, songeuse.

— Ses amis ? Ils ne le laisseront jamais les revoir...

— S'il demande gentiment. Mais si ses amis venaient à être en danger, je ne pensais pas qu'il attendrait sagement leur consentement...

— Donc, si je comprends bien, tu voudrais qu'on infiltre un hôpital remplit de Lurus pour les kidnapper ?

— Non. Nous attendrons qu'ils soient rentrés chez eux. Ils ne resteront pas surveillés éternellement. Sous quarante-huit à soixante-douze heures après leur sortie de l'hôpital, tout sera fini, et nous pourrons agir librement.

Décimus jeta sa poche vide pour en prendre une autre.

— Ouais, mais faut espérer que l'autre chiot n'aura pas fait sa mue...

Decimus fit non de la tête.

— Ce n'est pas dans la Meute à laquelle il est étranger qu'il trouvera un déclencheur. Et ce, même si leurs meilleurs Maîtres le forment. Il est différent, trop humain, pour un Lurus. Il ne marche pas à la rage, mais au cœur. Nous ne devons pas réfléchir comme avec un Lurus classique. Ni même comme avec un louveteau perdu... C'est réellement un cas à part... Il n'y a eu qu'un seul Ard'Ri qui réagissait de la sorte par le passé... Et il a failli anéantir notre lignée...

Septus redressa la tête.

— Tu penses au roi Arthur ? Ce n'est pas qu'une légende ?

— Les légendes ont toute une part de réalité. Nous ne pouvons pas prendre ce type à la légère... il aboie comme un chiot, mais combat comme un vrai loup. Et le jour où il ne tremblera plus sur ses pattes tel un jeune agneau, nous aurons beaucoup à craindre...

Au sommet des escaliers en colimaçon menant à la salle de tortures, Vlad écoutait ses Minions. Enervé de voir qu'Ophidius avait secouru ses frères, il avait failli surgir pour les tuer quand Decimus s'était servi dans les réserves de sang. Mais il s'était retenu, il savait que ces trois-là n'étaient pas aussi stupides qu'il y paraissait. Et grand bien lui avait pris. Ils semblaient avoir tout à la fois trouvé un plan descant pour capturer sa cible, et identifié la vraie valeur de celui-ci. S'ils parvenaient à leurs fins, il faudra vraiment songer à leur donner un nouveau rang et de nouveaux pouvoirs. Ou à l'inverse, à les éliminer... Ils commençaient à lui faire craindre qu'ils ne tentent un jour de le destituer... Chassant cette idée de son esprit, le vieux vampire reparti vers l'église dans un silence de mort.



La Trinité des Monstres - Tome 1 - LouveteauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant