Le bruit du monde (Livaï x OC)

L'entretien (partie 1)

Astal rebroussa le peu de chemin qu'elle avait parcouru ce matin-là, sur les talons de la pâtissière qui semblait sautiller plus qu'elle ne marchait. La petite ruelle pavée les fit passer devant les maisons à colombages et quelques enseignes commerçantes aux devantures élégantes. Les deux femmes passèrent sous l'arche de pierre richement sculptée et soutenant le beffroi de la ville. Sur la façade de ce dernier, un cadran doré abritait une gigantesque horloge astronomique prenant la forme d'un soleil doré sur fond indigo étoilé. Sous le mécanisme, une antique inscription indiquait "Avant tout le ciel me meut : le ciel est ma loi". 

A peine émergées de l'arche, Hanji s'arrêta face à la devanture franchement morne d'une petite boutique à l'ombre de la tour de l'Horloge. Astal releva le nez. Les lettres jaunes et fades de l'enseigne se détachaient du fond vert d'eau délavé de la façade en bois pour former un nom : "Le bruit du monde". Drôle de nom pour une boutique de thés, remarqua la jeune femme. Et d'ailleurs, à y regarder de plus près, aucun indice sur la devanture ne permettait de savoir qu'il s'agissait ici d'un vendeur de thé. Rien - aucun lettrage, aucune inscription - hormis quelques boites métalliques exposées sans grâce en vitrine. Astal ne put réprimer une moue mais se figea aussitôt en réalisant qu'elle se trouvait au pied de chez elle. Là haut, au deuxième et dernier étage, sous les combles de cette ancienne demeure, se trouvait l'appartement dans lequel elle venait d'emménager quelques jours plus tôt. Étrangement, elle n'avait jamais vraiment prêté attention à cette boutique du rez-de-chaussée. Sans doute à cause de son air maussade. Dans cette petite rue animée du centre historique, au milieu de toutes ces façades élégantes, "Le bruit du monde" dégageait l'ennui et le désenchantement. Pourtant, la pâtissière avait semblé laisser entendre que ce commerce avait sa petite réputation à Trost. Étonnant , pensa Astal. 

- On y est ! , s'exclama Hanji avec enthousiasme. 

La jeune femme se contenta d'hocher la tête et reporta son attention sur les boîtes métalliques exposées en vitrine. 

- Mais avant d'entrer, quelques conseils, ma grande ! , poursuivit la quarantenaire. 

Je suis toute ouïe , marmonna Astal intérieurement, ne croyant absolument pas à ses chances de décrocher ce boulot, même avec tous les conseils du monde. 

- Rappelle-toi bien, si le nabot te demande si tu aimes le thé et le ménage, tu réponds "OUI, MON CAPORAL !". 

Sur ces derniers mots, la voix d'Hanji s'était faite plus criarde que jamais, imitant un ton officiel et un salut militaire de la main droite. Au plus grand désespoir d'Astal, cette femme était définitivement cinglée. 

- Ecoutez, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de mentir, surtout à propos du thé. Je n'ai aucune compétence dans ce domaine et ça risque de - 

- Ah ! Et une dernière chose, l'interrompit Hanji en l'attrapant fermement par le bras. La plus importante. Ne t'attarde surtout pas sur sa cicatrice. Ça, il n'aime vraiment pas ! 

Lorsque les deux femmes passèrent le seuil, le son clair d'un carillon s'éleva. Aussitôt entrée, Astal fut assaillie par une déferlante de senteurs, de parfums suaves aux notes multiples. Elle s'autorisa à fermer les yeux durant une fraction de seconde afin de reporter toute son attention sur ces essences qui caressaient ses narines. Elle perçut tout d'abord les notes fruitées et épicées, comme celles des agrumes, de l'anis, du miel et des fruits rouges. Se faisant plus discrètes, les notes florales et boisées n'étaient pourtant pas en reste. Astal reconnut celles du jasmin et de la rose, ainsi que d'autres senteurs lui rappelant celle du bois vert ou de la terre détrempée après l'averse. Lorsque ces parfums eurent fini de l'assaillir jusqu'à se répandre au plus profond de son être, la jeune femme - sans s'en apercevoir - poussa un soupir d'aise. Il lui sembla que les arômes venaient d'aspirer en elle toutes traces de tristesse, d'angoisse et de détresse - celles-là même qui la faisaient souffrir depuis tant années.