Emprise

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Durant de longues secondes, seuls les crépitements du feu se firent entendre. Astal finit par décrocher son regard de celui de son patron. Jamais elle n'arriverait à déballer son sac, se dit-elle, si elle s'entêtait à soutenir ces deux billes d'acier. Elle baissa le nez et reporta son attention sur ses mains agrippées aux pans de son plaid. 

- Marc était un de mes professeurs aux Beaux Arts, se lança-t-elle en s'emmitouflant un peu plus encore. Nous nous sommes rapprochés très vite. Dès le premier cours je me suis bêtement laissée prendre au piège. Il était beau, intelligent, brillant, charismatique, promis à une grande carrière artistique. Il avait déjà une réputation impressionnante pour son âge. Pourquoi est-ce qu'un type comme lui a jeté son dévolu sur quelqu'un comme moi, je n'en ai aucune idée. Sans doute parce que j'étais la proie idéale. Très rapidement, il s'est rapproché de moi. Il trouvait toutes les occasions possibles pour qu'on se retrouve en tête à tête. Dans ces moments-là, il me faisait sentir ... différente. J'ai cru pouvoir lui faire confiance, alors je me suis livrée, je lui ai confié mon passé, mon enfance en foyer ... Lui était à l'écoute, protecteur. Il avait cette façon de me couver du regard et de me prendre dans ses bras ... J'avais enfin quelqu'un sur qui m'appuyer, une épaule où reposer ma tête. 

Astal déglutit nerveusement avant de poursuivre : 

- Très rapidement, il m'a dit qu'il m'aimait. Je ne comprenais pas parce que je n'étais pas une fille assez bien pour lui. Je me trouvais fade, ordinaire, sans talent. Mais il a insisté. Il me répétait qu'il m'aimait, que personne ne m'aimerait jamais comme lui m'aimerait, qu'il allait me montrer ce que c'était que d'être aimée "pour de vrai". Et je l'ai cru. 

La jeune femme s'arrêta quelques instants, le temps que s'apaisent les coups de tambour dans sa poitrine. Livaï, quant à lui, attendait la suite sans ciller, les yeux rivés sur son employée.  

- De l'extérieur, reprit-elle, on formait un couple idéal. Durant la première année, Marc a été un ... un amant extraordinaire. Tout le monde m'enviait et moi, j'étais folle amoureuse de lui. Folle au point de ne plus pouvoir imaginer ma vie sans lui. Et c'est à partir de ce moment-là que les choses ont commencé à mal tourner. Comme je le disais, à l'extérieur, notre couple rayonnait. Mais, petit à petit, à l'intérieur, dans l'intimité loin des regards, ça a viré à l'enfer. Marc s'est d'abord mit à me faire des réflexions sur mes tenues ou sur mes coupes de cheveux. "Regarde toi ! Tu veux vraiment sortir comme ça ? Tu me fais honte !". Il voulait tout contrôler : la manière dont je m'habillais, ma manière de me coiffer, mes dépenses, ma ligne, ce que je pouvais manger ou non, les personnes que je pouvais fréquenter ou non ... Et moi je me pliais en quatre, j'obéissais bêtement, persuadée que je devais tout à cet homme extraordinaire. 

Astal reprit sa respiration et poursuivit : 

- Vers la fin de ma deuxième année aux Beaux Arts, Marc s'est mit à me tanner pour que j'arrête mes études. Tantôt en me disant que je n'avais pas besoin de ça, qu'il pouvait tout m'apprendre, qu'il pouvait assurer ma carrière. Tantôt en me disant que je lui faisais honte - surtout quand il me surprenait à discuter ou à rire avec des amis. Ça ne lui plaisait pas. Il était extrêmement jaloux. Je ne sais pas comment il a réussi à me retourner le cerveau et à me faire quitter ce qui était le plus précieux pour moi ... mais il a réussi. J'ai arrêté mes études et je me suis retrouvée seule, enfermée dans son grand appartement où j'avais emménagé. Je ne savais plus quoi faire, je n'arrivais plus à toucher à mes pinceaux, j'en étais écœurée. Je passais mes journées à attendre son retour la boule au ventre, parce que je savais que dès qu'il aurait mis un pied dans l'appartement, il aurait quelque chose à me reprocher, n'importe quoi. Je n'étais jamais assez bien, et il me le faisait comprendre. En permanence. Petit à petit je me suis isolée. Je ne voulais plus voir personne. Personne ne pouvait comprendre ce que je vivais, parce que tout le monde faisait l'éloge de Marc. Tout le monde m'enviait, me disait que j'avais "de la chance" d'être avec  un homme tel que lui. 

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant