De Charybde en Scylla

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Ce ne fut qu'une fois sous le jet d'eau brûlant de la douche qu'Astal laissa déborder sa rage et sa douleur. Comment avait-elle pu être aussi conne, vomit-elle contre sa propre naïveté. En cet instant - et pour son erreur - elle se méprisait au moins autant qu'elle exécrait Marc. Au moins autant qu'elle en voulait à Livaï. Les mots de ce dernier lui bourdonnaient toujours aux oreilles et leur écho se répercutait sans répit contre les parois de son esprit. A les entendre - encore et encore -, elle était écœurée, révulsée. "Qui t'as parlé d'amour ?". Astal voulut rugir mais tout ce qui passa le seuil de ses lèvres se résuma en une longue plainte enrouée et déchirante. La jeune femme se laissa lentement glisser jusqu'à la mosaïque détrempée de sa douche, ramena ses jambes contre son buste, enfouit sa tête sous ses bras et libéra enfin les sanglots qu'elle retenait depuis de trop longues minutes. 

La jeune femme s'endormit deux heures plus tard, à bout de force, sur le canapé de son salon. Elle avait veillé à garder le téléviseur allumé en face d'elle, seul rempart à l'obscurité suffocante et à cette sinistre solitude qui l'étreignait. L'appareil diffusait en continu un faible halo de lumière tandis que s'en élevaient des voix agitées par la cadence d'un débat littéraire frénétique. Sans surprise, le sommeil de la jeune femme fut agité et ne lui laissa que peu de répit. Astal se réveilla en sursaut trois quart d'heure à peine après avoir sombré et lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle constata que l'écran de son nouveau téléphone émettait une faible lumière. Elle le saisit avec précaution, comme si elle craignait de s'y brûler les doigts, et vérifia l'affichage. 

23h49. Cinq appels en absence. Un sms : "Astal, ça suffit ! Tu n'es plus une gamine ! Décroche : il faut qu'on parle ! J'ai besoin qu'on parle !". 




Lorsqu'Astal poussa la porte du Bruit du monde le lendemain matin, elle pria pour ne pas avoir à affronter son patron de si bonne heure. En vain. Ce dernier était affairé à réarranger les présentoirs de l'établi central et non retranché dans son atelier comme la jeune femme l'avait espéré. Le gérant portait ses lunettes à monture noire, un jeans de la même couleur et un pull gris à mailles fines dont il avait relevé les manches. Au son du carillon, il se retourna vers son employée qui venait d'apparaître sur le seuil et la fixa. Le spectacle auquel il assista lui serra les tripes. De toute évidence, la merdeuse avait passé une sale nuit et il se savait être pour une bonne part responsable. Ce qu'il ignorait, c'était si la gamine avait eu d'autres emmerdes avec ce fils de chien de Marc Menaud. Il était évident que, si cela avait été le cas, jamais Astal n'aurait cherché à le contacter pour l'avertir. Pas après ce qui s'était passé la veille au soir. 

La jeune femme s'avança en se gardant bien de croiser le regard insistant de son patron. Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, ce dernier lui saisit l'avant-bras, la forçant à s'immobiliser et s'apprêta à dire quelque chose. Mais Astal ne lui en laissa pas l'opportunité et para au plus pressé : 

- Je n'ai aucune envie de revenir sur ce qui s'est passé hier, annonça-t-elle d'une voix morne. 

Livaï, peu surpris de la réaction de son employée, ne broncha pas. 

- Je veux juste faire mon boulot et qu'on me foute la paix, ajouta-t-elle. 

Puis elle se dégagea de la poigne du gérant et poursuivit son chemin jusqu'au comptoir. 

- Si c'est ce que tu veux, marmonna finalement Livaï tandis qu'elle ôtait sa veste. 

Le jeune homme délaissa l'établi et se dirigea vers l'arrière-boutique. Astal savait qu'elle ne le reverrait probablement pas de la journée, et que cet homme allait se terrer dans son trou en bon lâche qu'il était. Soudain, avant qu'il ne disparaisse derrière le rideau du fond de la boutique, elle laissa exploser sa rage : 

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant