Parce que c'est elle

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Livaï retira ses lunettes, jeta son stylo qui roula sur le livre de compte, et se pinça l'arrête du nez. Une douleur lui martelait le crâne sans ménagement, qui s'était logée là depuis le petit matin. Rien n'y avait fait jusque-là : ni son jogging matinal, ni le jet froid de sa douche, ni la quantité de thé ingurgitée, ni l'immersion dans ces suites de chiffres qui l'aidaient pourtant habituellement à couper court aux ruminations. 

Un tintement cristallin le tira de son marasme. Le gérant se tourna vers l'écran de vidéosurveillance où la silhouette de son employée venait d'apparaître. Livaï rechaussa ses lunettes et s'abîma dans une contemplation pensive.

Il avait tout tenté pour s'éclaircir les idées avant leur prochain face à face. Tenté de faire le point, de comprendre le joyeux bordel qui régnait dans sa caboche. (A moins que ce ne soit dans sa cage thoracique ?). Mais rien. Rien qui ne puisse l'aider à prendre une foutue décision au sujet de cette femme qui avait déboulé dans sa vie comme dans un jeu de quilles. Au fil des mois, sa présence l'avait progressivement poussé dans ses derniers retranchements. Lui - l'ex Caporal-chef ! - avait reculé comme un bleu face aux assauts tendres et obstinés de ce bout de femme. Et voilà où sa frousse l'avait mené : acculé dans l'impasse de ses propres sentiments.

T'es sûr que c'est une impasse, Livaï ? , questionna intérieurement une voix qui possédait - étrangement ! - le même timbre que feu son ami et ancien supérieur.

- Tch !

Le gérant se passa une main sur le front pour s'extraire de sa torpeur mais ses doigts se figèrent sur le renflement de sa balafre.

"Elle est magnifique", résonna une voix. 

Il n'y avait bien qu'elle pour s'émerveiller sincèrement d'une horreur pareille ! Livaï souffla d'exaspération. Serait-elle capable de s'extasier de la sorte sur les balafres de son passé ? 

Quand elle saura qui je suis vraiment ... 

Un frisson lui parcourut l'échine. 

Ça n'amènera rien de bon, putain !  

Il détailla la silhouette de son employée sur l'écran de vidéosurveillance comme il avait passé la nuit à détailler son visage endormi. Il se serait damné pour pouvoir incruster dans sa mémoire et dans sa chair les moindres traits et courbes de cette femme qui le rendait fou. Et pourtant, il avait passé la nuit à se demander ce qu'il convenait de décider à son sujet - à leur sujet - et, à cette heure-ci, il n'avait toujours pas la réponse. Que devait-il faire ? Se séparer d'elle ? La virer ? De cette boutique ? De sa vie ? Elle était une femme sublime, douce, audacieuse, vaillante , et lui ... eh bien ... il n'était que lui, et ce n'était pas brillant. Elle avait un avenir devant elle, des blessures à panser et tout à reconstruire. Lui ... traînait son passé comme un boulet, des regrets à la pelle et des pertes qu'il n'avait toujours pas surmonté. Rien qui ne puisse la rendre heureuse. 

Elle mérite mieux ... 

Le tintement du carillon retentit à nouveau. Sur l'écran, Astal ouvrit la porte du Bruit du monde pour accueillir un homme dont le visage était à moitié caché sous une casquette noire. Il tendit un document qu'Astal signa avant de lui remettre un carton. Livaï grinça des dents lorsque le livreur - bien loin de se retirer - entama la discussion avec son employée. 

- T'as pas autre chose à foutre, trou du cul ? , grommela-t-il à l'adresse de l'écran de surveillance. 

Et toi, crétin, pourquoi tu t'es laissé entraîné dans une merde pareille ? , fustigea-t-il contre lui-même. 

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant