Noël (partie 1)

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- Et bon anniversaire, ajouta Astal, dans un souffle, à l'adresse du gérant.

Un sourire resplendissant joua sur les lèvres de la jeune femme, suffisamment radieux pour désamorcer instantanément les foudres de Livaï. L'avait-il déjà vu sourire ainsi ? Bon gré mal gré, l'homme se radoucit autant qu'il lui était possible de l'être. Devant ce spectacle étourdissant - il le savait - le soupir qui passait le seuil de ses lèvres venait marquer sa propre défaite. Une défaite par forfait. Car en aucun cas il ne se pardonnerait d'être celui qui ôterait le sourire de ce visage-là. Du moins, pas ce soir. Dans un sursaut d'orgueil, le gérant se fendit d'un claquement de langue irrité avant de croiser les bras sur sa poitrine avec nonchalance : voilà qui devait suffire à maquiller sa reddition sous une bonne couche de bougonnerie. C'est ce qu'il espérait, mais Astal n'était pas dupe. Pas après avoir vu le regard bleu glacier qui plongeait dans ses yeux vaciller comme il venait de le faire quelques instants plus tôt lorsqu'elle avait souri. Intriguée, la jeune femme pencha la tête sur le côté, sondant les traits de cet homme à la recherche du moindre indice susceptible de l'éclairer sur les raisons de ce flottement soudain.

Ce fut l'instant précis qu'Hanji choisit pour saisir Livaï par le coude et l'entraîner (- le traîner serait sans doute plus exact -) vers ses amis qui l'attendaient dans le salon. Astal les suivit, interdite et plutôt mal à l'aise d'avoir à faire la connaissance de ces quelques inconnus, et sous son propre toit encore. Une fois le petit groupe de convives rejoint, la pâtissière délaissa son ami - le confiant aux bons soins de ses anciens subalternes - pour s'accrocher cette fois-ci à Astal. Bras dessus, bras dessous, elle se mit en tête de lui présenter chacun des convives à grand renfort de surnoms et d'anecdotes somme toute plutôt gênantes et dans une surexcitation dont le faste atteignait probablement son apogée. La jeune femme tenta de retenir les noms de chacun : Eren - un grand type aux yeux émeraudes, flegmatique mais pas antipathique ; Mikasa - sa compagne, asiatique et plus réservée encore ; Armin - un petit blond au sourire chaleureux qui paraissait dix ans de moins que son âge ; Connie - un grand type au crâne rasé qui semblait prendre un malin plaisir à charrier le dernier convive, Jean, une autre grande perche au caractère bien trempé à n'en pas douter. A côté d'eux, Livaï semblait plus petit que jamais remarqua Astal sans arriver à réprimer un sourire railleur. 

- Jean est célibataire, glissa soudain Hanji à l'oreille de la jeune femme dans ce qui se voulut être un murmure.

Mais comme son excitation n'avait d'égal que les décibels de son filet de voix, cette tentative s'avéra être un échec cuisant : la confidence ne passa inaperçu ni pour le concerné - dont les joues rosirent discrètement -, ni pour Connie - qui renchérit en signalant qu'il était également célibataire -, ni pour Livaï qui planta un regard morne dans celui de son amie. Cette dernière gloussa sans élégance avant d'entraîner Astal dans la cuisine tandis que chacun prenait place à table.

- Ça c'est pas si mal passé tout compte fait, remarqua la jeune femme en versant un sachet de noix de cajou dans un ramequin.

- C'est exactement pour ça qu'on avait besoin de toi, lâcha innocemment Hanji en chipant une noix.

- Quoi ? Comment ça ?

- Hmmmm ! Elles sont dé-li-cieuses ces noix ! , s'extasia la pâtissière avant de s'éclipser au salon avec le reste des ramequins.




Assise en bout de table, entre Jean et Connie qui passaient le plus clair de leur temps à se chicaner, Astal trouva rapidement ses aises. Les deux anciens militaires étaient de bonne compagnie et plein d'humour. Sans grande surprise, Hanji n'était pas en reste pour participer activement à l'animation du repas. Afin de préserver l'ambiance légère et chaleureuse qui régnait dans l'humble salon de leur hôte, chacun semblait prendre grand soin d'éviter les sujets épineux, à commencer par l'armée. Bien qu'incessamment prise à partie dans les joutes verbales de ses deux voisins, la jeune femme gardait un œil sur son patron, à l'autre extrémité de la table. Elle s'inquiétait de le voir si imperméable à l'atmosphère générale, lui qui - comme toujours - affichait un air maussade. A croire que l'amitié de ses frères d'armes lui glissait dessus sans jamais entamer sa maudite carapace. Ou c'est ce qu'il veut faire croire ? , hasarda Astal. Avec une régularité qui l'inquiétait elle-même, la jeune femme ne pouvait s'empêcher de lui lancer de furtifs coups d'oeil, espérant - contre tout espoir - déceler sur la beauté froide de ce visage le moindre signe susceptible de trahir ses véritables sentiments. Mais rien. Du moins, rien hormis un regard en retour, froid et pénétrant, lorsque Livaï l'intercepta, lui faisant ainsi comprendre que son petit manège avait assez duré. Astal, le rouge aux joues d'avoir été ainsi prise la main dans le sac, se dépêcha de baisser le nez vers son assiette déjà vide depuis longtemps. 

Une fois le plat terminé, tandis qu'Hanji et Astal débarrassaient les assiettes et que le reste des convives débattait dans de grands éclats de rire - alcool aidant - au sujet d'un certain Floch qu'aucun ne semblait porter dans son cœur, l'ancien Caporal se leva sans un mot et se dirigea vers l'angle du salon. Astal le couva du regard en se mordillant les lèvres. Et si Livaï n'appréciait pas sa soirée ? Autour de la table, personne ne semblait avoir remarqué son absence ou - du moins - personne ne s'en préoccupa. Peut-être avaient-ils l'habitude de ses manières ? La jeune femme tenta de se rassurer : après tout, se dit-elle, pour cet homme taciturne s'écarter ainsi relevait sûrement de l'instinct de survie. 

- Si tu t'inquiètes tant que ça, va lui parler, lui chuchota soudain Hanji. 

Surprise par la perspicacité redoutable de son amie, Astal bafouilla quelques mots sans arriver à formuler de phrase décente. 

- Et essaye de nous le ramener pour le dessert, gloussa la pâtissière en la poussant d'une main délicate dans le dos. 





- Ça va, patron

- C'est toi qu'as peint ça ? , se déroba le jeune homme en désignant le tableau devant lequel il était planté depuis quelques minutes déjà. 

Astal soupira, un pincement au cœur. Il s'agissait de la seule toile peinte de ses mains qu'elle avait eut le cœur d'exposer dans son nouvel appartement, la seule qu'elle supportait d'avoir sous les yeux : la reproduction à l'encre de chine d'un relief montagneux émergeant dans une brume épaisse. 

- Oui, admit-elle d'une petite voix qui cachait mal son amertume. 

Livaï se tourna vers la jeune femme et plongea dans le sien un regard grave, infiniment las. Et pour la première fois, Astal réalisa que l'homme qui se tenait devant elle était voûté, les épaules comme imperceptiblement écrasées sous le poids d'un fardeau trop lourd. 

- Qu'est-ce que tu fous ici, merdeuse

- Quoi ? Comment ça qu'est-ce que je fous ici ? , bredouilla-t-elle, troublée par l'expression navrée sur le visage du gérant. 

- Tu devrais pas être à Mitras en train de terminer tes études ou de lancer ta petite carrière d'artiste ? 

Le cœur d'Astal loupa un battement. 

- Ça vous déplaît tant que ça que je bosse à la boutique, patron ? , railla-t-elle pour esquiver. 

- Me fais pas dire ce que j'ai pas dit, grommela-t-il en s'éloignant pour rejoindre le sofa. 

Il s'y affala avec désinvolture. Interdite, Astal l'observa ne sachant pas trop ce qu'il convenait de faire. Venait-il de mettre un terme à la discussion ou ... 

- Assise ! , lâcha-t-il soudain en désignant la place libre à côté de lui. J'en ai pas fini avec toi. 

La jeune femme obtempéra sans broncher, sa propre ambivalence la laissant profondément perplexe : elle était aussi rebutée à l'idée de parler de son passé qu'heureuse de voir - enfin - un semblant d'ouverture dans les défenses de cet homme. Après tout, pensa-t-elle, il était injuste de sa part d'espérer qu'il parle de lui si elle-même n'était pas capable de répondre à ses questions. Mais si elle acceptait de se risquer à ouvrir la voie des confidences, peut être Livaï suivrait-il son exemple ? Elle l'espérait. 

- Pourquoi t'es venue t'enterrer à Trost ? , reprit Livaï, bien déterminé à lui faire cracher le morceau. 

- Et pourquoi pas ? , badina-t-elle. 

- T'as envie de tourner autour du pot encore longtemps comme ça ? 

- J'ai toute la soirée, rétorqua-t-elle dans un sourire espiègle. 

- Tch ! 

Astal pouffa tandis que Livaï se renfrognait. Puis, lentement, trait par trait, le visage de la jeune femme devint aussi grave que celui de son patron, sans pour autant perdre son sourire. 

- Si je vous raconte, j'ai le droit de vous poser une question moi aussi ?

- Tu pourras toujours essayer. 

- Patron ... , houspilla-t-elle. 

Livaï dévisagea quelques instants la femme qui se tenait à côté de lui. Il laissa son regard se perdre au milieu de ses boucles cuivrées avant de revenir plonger dans ces deux grands lacs émeraude dont les eaux lui apparaissaient chaque jour un peu plus chaleureuses. Généreuses. Jusqu'où pouvait-il parler à cette gamine sans perdre pied ? 

- T'as ma parole, merdeuse

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant