Magnifiques regrets

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Livaï soupira en détaillant le visage blafard et cerné que lui renvoyait le miroir embué de la salle de bain. Des gouttes perlaient de la pointe de ses cheveux détrempés, plaqués sur son front, et roulaient jusqu'à l'arête de sa mâchoire. Le jeune homme attrapa deux serviettes, enroulant l'une autour de ses reins et frictionnant sa tête à l'aide de la seconde. Puis, à nouveau, il reporta son attention sur son reflet et toisa sa cicatrice.

- Magnifique, hein ? , grommela-t-il.

L'adjectif lui restait encore en travers de la gorge - au moins autant, d'ailleurs, que cette balafre lui donnait l'envie de gerber. Livaï ne s'apparentait en rien à ces minets et ces esthètes  préoccupés par leur plastique : qu'une cicatrice le défigure en lui lacérant le minois dans la longueur, à vrai dire, il s'en carrait pas mal. Qu'à sa vue les gens s'en trouvent dégoûtés ou carrément révulsés, il s'en foutait tout autant. Non, le problème résidait ailleurs. Cette putain d'entaille cristallisait en elle toute son impuissance, ses pires décisions. Toutes ses erreurs passées, terribles, irréversibles. Toutes leurs conséquences. Tous ses putains de regrets. 

Et elle, elle trouve ça magnifique !

Livaï serra les poings sur le rebord du lavabo. Il avait beau retourner l'adjectif dans tous les sens du terme tandis qu'il continuait à fixer sa balafre, ça ne collait foutrement pas. Abject, répugnant, ignoble, lamentable, pitoyable ... mais pas "magnifique". Et pourtant. Pourtant, quelque chose au fond de ses tripes tressaillait et ronronnait en se remémorant cette scène nocturne : la gamine accroupie à ses côtés, sa présence qui exhalait toujours un discret parfum fleuri, ses grands yeux émeraudes ruisselants de tendresse, les jeux d'ombre et de lumière dans ses boucles cuivrées, le contact de sa main sur sa joue et les touches délicates de ses doigts le long de cette putain de marque. Et sa voix, douce et chaude.    

"Elle est magnifique".

Livaï soupira. Là où lui ne voyait qu'erreurs, gâchis et regrets, là où d'autres ne voyaient qu'une plaie immonde et effrayante, comment pouvait-elle trouver quoi que ce soit qui justifie qu'elle s'émerveille ? Elle avait d'ailleurs prononcé ces trois mots sans ciller, sans affecter la moindre pitié. Elle ne s'était pas lancée par charité poussive, elle avait simplement confesser ce qu'elle avait sur le cœur. Avec courage.

"Casse toi".

Le jeune homme soupira de plus bel. Là où elle n'avait fait preuve que d'honnêteté et de douceur à son égard, lui - quel abruti, quand il y repensait ! - n'avait été capable que d'une rudesse froide, cruelle et terriblement lâche. Elle avait tendu la main dans une caresse, il n'avait su que la mordre en retour. Après tout, se dit-il las, ce n'est jamais qu'un regret de plus. Mais s'il acceptait de faire preuve d'un peu de courage, tout n'était peut-être pas perdu ?



- Hey, merdeuse, ouvre j'te dis ! , insista Livaï d'une voix rauque en tambourinant nerveusement à la porte de la chambre résolument fermée, désespérément silencieuse.

Pourquoi Astal n'ouvrait-elle pas, nom de Dieu ? Avait-il dépassé les bornes au point de ne mériter que cette indifférence puérile ? Dans ce cul-de-sac de couloir, Livaï - au comble de la frustration - n'aurait su dire si c'était l'inquiétude qui l'emportait sur sa colère, ou bien l'inverse.

- Si tu cherches la demoiselle, fit soudain la voix rocailleuse d'Henry dans son dos, elle est partie tôt ce matin.

"Casse toi".

- Partie ? , aboya Livaï, la cage thoracique en feu et le sang lui battant aux tempes. Comment ça partie ?

"Casse toi". 

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant