Emploi et contrariétés

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"Ma nouvelle employée", venait-il de dire ?

Madame d'Elbée, prête à vomir son fiel quelques instants plus tôt, écarquilla les yeux de stupeur. A sa droite, toujours assise sur son tabouret de bar, la concernée en fit de même tout en rivant ses grands yeux verts à ceux du gérant.

- Ça c'est une nouvelle, s'étrangla la cliente qui cachait à grand peine son aigreur. 

- Je ne vous le fais pas dire, murmura Astal encore incrédule, questionnant Livaï du regard. 

Ce dernier la toisa sans ciller durant ce qui parut être à la jeune femme un laps de temps interminable. Comme toujours, les traits de son visage restaient figés dans une expression impénétrable que rien ne semblait pouvoir perturber, pas même l'émoi fébrile de Madame d'Elbée. Celle-ci, cherchant désespérément à capter l'attention du gérant qui avait détourné les yeux de sa personne depuis trop longtemps, se dandinait d'un pied sur l'autre en laissant échapper quelques soupirs impatients.

- Le Darjeeling, c'est ça ? , demanda finalement le jeune homme en s'arrachant aux iris émeraudes de sa nouvelle employée. 

- Exactement, roucoula la cliente. 

L'air morne, Livaï se leva, contourna le comptoir et, d'un geste de la main, invita Madame d'Elbée à s'avancer vers l'une des étagères du mur de gauche. Avant de lui emboîter le pas, il se pencha vers Astal. 

- Tu restes assise et tu la boucles, grommela-t-il. 

Tête baissée et mâchoires serrées, les mains de la jeune femme se crispèrent nerveusement sur ses cuisses. Astal n'était pas du genre à protester contre l'autorité ni à renâcler devant les ordres, mais ceux de cet homme lui donnaient la désagréable sensation de ne pas mériter beaucoup plus de considération qu'un clébard qu'on s'obstine à vouloir dresser. 

- Oui, patron, cracha-t-elle entre ses dents sans trop savoir si Livaï - qui avait déjà tourné les talons - avait entendu. 

Astal arrima son regard aux croquis restés sur le comptoir, tentant de faire abstraction des roucoulades de la mégère dans son dos, quand soudain un chuchotement attira toute son attention. 

- Vous avez vraiment employé cette jeune femme ? 

- On dirait bien, oui, répondit le gérant d'une voix plate. 

- Mais vous auriez du me dire que vous cherchiez quelqu'un ! J'aurais pu vous conseiller des noms ; des personnes plus ... appropriées

Astal se mordit la lèvre inférieure. Madame d'Elbée avait pris grand soin d'appuyer ce dernier mot avec une condescendance à peine dissimulée et dans un chuchotement qui était tout sauf la preuve de sa discrétion. Alors que la jeune femme hésitait à intervenir dans cette conversation qui la concernait de près quitte à désobéir au premier ordre de son patron, ce dernier prit la parole :

- Ne vous en faites pas pour ça, rétorqua-t-il d'un ton glacial. Je sais facilement reconnaître les "personnes appropriées" des peigne-culs. 

A ces mots et au silence de la quinquagénaire qui ne savait sûrement pas tout à fait comment les interpréter, un sourire carnassier étira les lèvres d'Astal. "Alors, d'Elbée, t'es plutôt appropriée ou plutôt peigne-cul ?", railla intérieurement la jeune femme. Mais les réjouissances furent de courte durée et le sourire de la jeune femme se figea aussitôt lorsque Livaï ajouta d'une voix claire :  

- Et si jamais elle convient pas, elle dégage. 



La mélodie du carillon s'éleva à nouveau dans la boutique, annonçant enfin le départ de la mégère.

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant