Un soir

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Astal jeta un rapide coup d'œil à sa montre. 19h05. Dans un soupir de soulagement - de ceux que l'on pousse après une journée de dur labeur et avec la satisfaction du travail bien accompli - la jeune femme se dirigea vers la porte afin d'en retourner la pancarte signalant la fermeture de la boutique et ferma le verrou. Ainsi s'achevait la dernière journée de sa première semaine de travail au "Bruit du monde".

Une semaine, songea-t-elle en réarrangeant les présentoirs de l'établi.

Une semaine c'était écoulée depuis sa prise de poste et Astal constatait avec réconfort qu'elle ne regrettait pas son choix. En quittant Mitras, la jeune femme avait pris des risques et, pourtant, elle avait réussi. Réussi à trouver un toit, un salaire, un travail dans un lieu qu'elle appréciait et d'où émanaient la quiétude, la sérénité et une certaine chaleur. Elle s'y sentait bien. Elle s'y sentait même en sécurité. Mais surtout, elle se sentait fière. Fière d'elle-même. Fière d'avoir pris le risque de quitter Mitras et la situation qui était la sienne, fière d'avoir su gagner sa liberté, fière de réussir dans un travail qui - jusque là - lui était totalement inconnu. Astal se sentait doucement revivre et - étrangement - le thé l'y aidait, à travers la profusion de ses mélanges aux possibilités infinies, le tendre foisonnement de ses couleurs, la richesse luxuriante de ses arômes, la noblesse subtile de ses parfums. L'amitié et la joie exubérante d'Hanji n'était pas non plus étrangère à ce regain de vie. La pâtissière appelait Astal chaque soir pour prendre de ses nouvelles et s'assurer que tout se passait bien en boutique. La veille, elles avaient même déjeuner ensemble au centre-ville.

- Si tu as une question ou un souci en boutique, tu peux m'appeler discrètement, lui avait-elle murmuré entre deux bouchées, tout en se penchant vers Astal et en agitant sa fourchette sous le nez de cette dernière.

- Ça ira, avait-elle pouffé en réponse. Je devrais pouvoir m'en sortir avec le "petit canard".  

Le "petit canard" en question - son patron - était la part de sa nouvelle vie qui l'intriguait le plus. Au-delà de son sale caractère, de son air au mieux maussade au pire parfaitement dédaigneux, de son regard acéré, de sa voix tranchante et de ses paroles cinglantes, Livaï Ackerman semblait dissimuler une nature bien plus commode et bien moins égoïste qu'il n'y paraissait de prime abord. Une nature qu'Astal avait encore du mal à cerner, plus pondérée et réfléchie. Plus attentive, aussi. La présence de cet homme faisait naître en elle des sentiments profondément  contradictoires. Une part d'elle affectionnait sa compagnie et ce caractère tranchant qu'elle comprenait maintenant n'être qu'une façade. Elle était touchée, presque attendrie, lorsque Livaï l'invitait - en bougonnant - à entrer dans son atelier ou lorsqu'il l'appelait "merdeuse". La jeune femme avait vite compris qu'il ne s'agissait là que d'un simple sobriquet auquel elle s'amusait maintenant à répondre par un "patron" qui exaspérait immanquablement le gérant. Mais une autre part d'elle craignait farouchement la fascination que le jeune homme faisait naître en elle. Était-ce à cause de sa beauté froide ou de l'aura qui émanait puissamment de lui ? Astal, à ses dépens et dans la douleur, avait appris à redouter les hommes charismatiques ; ces hommes capables d'exercer une emprise sur ceux qui les entouraient jusqu'à les asservir comme de vulgaires choses et non plus des êtres. Plus que tout au monde, Astal soupirait après la liberté et redoutait les entraves invisibles que ces hommes étaient capables de vous passer sans que vous en ayez même conscience. Livaï, lui, était certes un homme charismatique mais la jeune femme ignorait encore s'il était capable d'une telle emprise. Raison pour laquelle elle restait sur ses gardes. Elle ne comptait pas répéter les erreurs du passé.

- Hé merdeuse, t'as fermé la porte ? , l'interrogea soudain une voix aussi profonde que tranchante.

Le jeune homme venait justement d'émerger de l'arrière-boutique après avoir passé l'après-midi retranché dans son atelier.

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant