Marc

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Des effluves chaudes et fleuries emplissaient l'atelier, ajoutant à l'atmosphère ouatée de la pièce. La boutique fermerait dans deux heures mais, dehors, la ville glissait déjà dans l'obscurité des nuits hivernales. Tout était calme. Astal parcourut le plan de travail d'un regard circonspect, les lèvres pincées sous le coup d'une intense concentration. Quel ingrédient choisir ? Sa main flotta à son tour au-dessus de la surface du bureau, survolant tour à tour les différents contenants, avant de se figer au-dessus d'un petit ramequin vert. 

- Du jasmin, murmura-t-elle, pensive. 

En face d'elle, Livaï releva le nez de son livre de comptes. A travers les verres de ses lunettes, ses yeux d'acier lui jetèrent un coup d'oeil interrogateur tandis que le crayon qu'il tenait à la main arrêta soudain de tournoyer autour de son pouce. 

- Du jasmin ! , répéta la jeune femme d'un ton victorieux en brandissant le ramequin sous le nez de son patron. C'est ça qu'il lui faut à votre thé fumé ! 

Elle décocha à ce dernier un sourire triomphal. Mais sur le visage du jeune homme, pas le moindre mouvement, pas la moindre réaction. Evidemment. Elle s'y attendait. Elle le connaissait. Livaï considéra quelques instants les feuilles de thé, noires et flétries, qui trônaient dans une coupelle au milieu du plan de travail avant de reporter son attention sur le petit ramequin qu'Astal lui tendait. D'un geste brusque, le gérant lui saisit le poignet et l'attira à lui de sorte qu'il puisse humer les fleurs de jasmin à pleines narines. Durant une fraction de seconde, le sourire de la jeune femme se crispa en un rictus parfaitement nerveux et tous ses muscles se bandèrent. Les vieilles habitudes. Son corps réagissait toujours ainsi. Mais une fraction de seconde, seulement. Car aussitôt il se souvint à qui appartenait cette poigne. Il avait confiance. Alors le sourire d'Astal se détendit avant de s'épanouir franchement. 

- Alors ? , demanda-t-elle d'un air amusé en contemplant le nez froncé de son patron. 

Celui-ci releva les narines du ramequin et plongea son regard bleu glacier dans celui d'Astal. Cette merdeuse n'avait pas tort : quelques feuilles de jasmin seules suffiraient à mettre en relief le thé noir fumé qu'il venait de recevoir de son fournisseur le matin même. Mais ça lui coûtait de l'admettre, surtout quand il voyait l'air victorieux s'afficher aussi aisément sur la tronche d'Astal. C'était indéniable : cette gamine avait un talent inné et une acuité olfactive impressionnante. Il n'avait pas envie qu'elle tire profit d'une réussite sans effort ni qu'elle se repose trop facilement sur ses lauriers. 

- Tu peux m'expliquer ce que tu fous là ? , grogna-t-il. 

- Détendez-vous, il n'y a pas de client pour l'instant, rétorqua la jeune femme en désignant le petit écran de surveillance. 

En noir et blanc, le poste renvoyait effectivement l'image d'une boutique parfaitement déserte. Livaï soupira. 

- Et donc t'as décidé de venir me les briser ? 

- On ne peut rien vous cacher, patron, railla la jeune femme en se rasseyant sur son tabouret. 

En réalité, cela faisait déjà un bon quart d'heure qu'Astal était installée dans l'atelier, attablée face à son patron, concentrée à chercher un ingrédient susceptible de s'assortir à ce thé noir. Jusque là, Livaï n'avait fait aucune remarque ni prit la peine de lever le nez de son livre de comptes. Pour un œil peu avisé, son attitude aurait sans doute pu paraître froide et méprisante. Ce n'était pas le cas. Pour Astal - elle le savait - ce silence était le gage que Livaï l'acceptait ici, dans son antre. Elle ne se donnait plus la peine d'attendre sagement que ce soit lui qui l'appelle pour oser y mettre les pieds. Non, la jeune femme y allait maintenant quand bon lui semblait, quand elle en éprouvait l'envie, veillant tout de même à prévenir son patron par trois petits coups contre le battant de la porte avant d'entrer. 

Le bruit du monde (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant