Raphaëlle avait retiré sa robe byzantium. Un vieux pagne noué à sa taille accompagnait son t-shirt gris. Des mains rougies, des coups de couteau: Romann détaillait la scène en catimini. Puis sans broncher, il s'en alla tel qu'il était venu – comme un voleur. Sa mère ne le sut jamais, trop occupée à manier le couteau.
Au bout de quelques minutes, elle ramassa les morceaux de chair et les balança dans l'eau. Une petite tâche rosacée se déposa sur sa pomette. De l'eau ensanglantée. Ses yeux se tournèrent vers le robinet ouvert. L'eau coulait, remplissant progressivement la petite cuvette. Emportée dans un flot de souvernirs, ses sourcils papillonèrent dans son visage figé. Le monde extérieur lui fila entre les doigts et une goutte d'eau fit déborder la petite bassine.
– Maman?... Maman...
Raphaëlle soubresauta et se retourna. Son fils la regardait comme si elle était un fantôme.
– L'eau, dit-il en lui indiquant le robinet.
C'est seulement là qu'elle se rendit compte de ses quelques secondes d'absence.
– Ça va? Lui demanda son fils.
– Oui... Oui, s'il te plaît, donne-moi une serpillère dans le panier.
Romann s'exécuta et ramena une serpillère jetable à sa mère. Elle l'allongea dans la flaque et vida une partie de l'eau ensanglantée dans l'évier. Tout ce qu'elle voulait, c'était laver cette fichue viande rouge. Et voilà qu'elle se retrouvait avec son fils effaré.
– De l'igname pilée comme tu aimes, lui annonça-t-elle en câlinant sa joue.
– Avec de la sauce d'arachide?
– Avec de la sauce d'arachide, et du frommage et de la viande.
– Tu as besoin d'aide?
– Monsieur veut apprendre à cuisiner?
– Je suis un touche-à-tout, non?
Raphaëlle força un sourire et ils se mirent au boulot. Avec leur travail d'équipe efficace, ils se retrouvèrent à table au bout de deux petites heures.
Raphaëlle profita de ce premier repas pour aborder tout et rien avec son fils. Elle apprenait sur son propre enfant, des choses qu'elle n'aurait jamais devinées. Ces choses-là, Auriane les connaissait par cœur. Réprimant sans cesse la sensation d'être la pire mère de l'univers, elle se concentrait sur la bonne humeur de Romann.
– Alors ce CEP?
– Dix-neuf au moins.
– Seulement?
– J'aurais pu dire vingt. Mais c'est vingt la limite. Alors, si je considère les probables erreurs de correction, je me rends compte que le minimum ne saurait être en dessous de dix-neuf.
– Eh bien il va avoir chaud aux fesses cet examen.
– Il va finir braisé.
– Ha ha ha.
– Dis, maman?
– Oui mon chéri.
– Tu as déjà choisi le collège dans lequel j'irai?
– Pourquoi cette question?
– Je voudrais rentrer à la maison.
– Rentrer à la maison?
– Quitter l'internat, si tu préfères.
Raphaëlle soupira. Elle souhaitait retisser les liens. Mais... elle n'avait jamais pensé aussi loin.
– Je vais y réfléchir... Allez, mange avant que ça ne refroidisse.
Parfois, Romann sentait ce fossé entre sa mère et lui. Mais, derrière ses yeux innocents, il était assez futé pour deviner qu'elle était encore affectée par le décès de son père. La scène de l'eau dans la cuisine lui rappelait de biens sombres souvenirs. Le jour où son père était parti, sa mère avait les cheveux mouillés, le visage mouillé, les yeux mouillés... En fait, elle était entièrement mouillée. Cela dit, il ignorait toujours comment son père était décédé. Et ce n'était pas faute d'avoir essayé de le découvrir. À l'époque, sa mère avait vaguement évoqué un accident. La fleur de l'âge avait potentiellement inhibé la curiosité de Romann. Mais à présent, il désirait en savoir plus. Pourtant, il n'osait en parler, de peur de heurter sa mère.
Romann jeta un œil à la grande fenêtre. L'atmosphère était toujours aussi obscure, parfois illuminée par des éclairs beuglards. Il se rendait compte de l'espace qui les entourait. Au pensionnat, il n'avait droit qu'aux faces de ses camarades déprimés par la bouffe. Mais là, il avait droit à sa mère, à un nouveau repas, à un meilleur cadre. Il y avait de quoi être heureux.
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Dr DJENGUÈ
RomanceUn gigolo est pris à son propre piège lorsque son meilleur ami le pousse à fréquenter une femme qui sort du lot de ses clientes habituelles: le Docteur DJENGUE Raphaëlle. Une veuve qui n'aurait jamais pensé avoir ce genre de fréquentations. Une femm...