Chapitre 9: deux ans à t'attendre.

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Raphaëlle n'était pas chez elle: parole du portier. C'était étrange, les lundis, elle consultait à domicile. Rayan avait déjà remarqué son cabinet fermé. Il se disait alors qu'elle devait être enfermée dans sa baraque.

– Et puis merde, en plus je l'écoutais au point d'apprendre des choses sur elle.

Dans son véhicule, il se posait toutes les questions du monde. Le gardien n'avait pas pu lui mentir. Rayan avait pu inspecter la cour pour constater l'absence de la voiture de Raphaëlle.

Il se demandait ce qu'il fallait faire. Attendre comme un imbécile devant son portail? Il avait décidément des idées de plus en plus ridicules!

– Ah je te déteste Raphaëlle. Je te hais.

Mais en attendant, il faisait le poireau en face de chez elle, puisqu'elle n'avait décroché aucun appel.

***

Un bon quart d'heure que Raphaëlle agitait ses jambes entrecroisées. Elle ne cessait de jeter un coup d'œil à sa montre de pacotille. Et pourtant, elle savait qu'elle était en avance.

– Bonjour Raphaëlle.

– Ah Auriane... Enfin tu arrives.

– Non, je t'ai manqué tant que ça?

– Arrête de dire n'importe quoi.

– J'avoue que je suis vexée.

– Mh oui bien sûr.

Après une embrassade, Raphaëlle regagna son siège tandis qu'Auriane s'affala dans le fauteuil d'en face.

– Alors, comment tu vas? Le boulot, les enfants, ton mari.

– Oh tout va bien. Je ne me plains pas. Et toi alors cher docteur? Jamais fatiguée d'examiner des yeux à longueur de journée?

– Y a pas de quoi se plaindre. Il y a ça en prime, dit-elle en frottant son index à son pouce.

Auriane explosa de rire en remuant du chef.

– Toi, tu n'as jamais changé quoi.

– Toi-même tu sais.

– Sacrée Raphaëlle...

– Alors, dis-moi?

– Il n'y a pas grand-chose à rajouter. Comme chaque année, les résultats sont juste sidérants. On n'envisage que le meilleur pour la fin. Par contre, c'est la seule partie de sa vie qui brille.

– Qu'est-ce que tu veux dire?

– Qu'il serait peut-être temps de changer d'environnement.

– Auriane...

– Oui, je sais. Mais je sais aussi que tu vas finir par le regretter si tu continues comme ça. Ça va faire près de six ans maintenant qu'il est interné ici, tu ne penses pas qu'il est temps? Sans compter ces deux dernières années d'absence.

– Je sais pas...

– Si, tu sais... Écoute, je ne suis pas dans ta peau. Et je ne peux pas décider à ta place. Je ne suis personne pour te juger non plus. Mais réfléchis-y bien. On entre dans une période critique de sa vie: la puberté. Et si tu la rates, tu auras tout raté. Tu ne pourras plus jamais te rattraper. Et je sais de quoi je parle.

– D'accord, c'est compris je... je vais y réfléchir.

– Fais donc et fais bien, hum?

– Hm.

– Bon, je reviens.

Au bout d'une demi-minute, Auriane revint dans la pièce. Mais elle n'était plus seule.

En entendant leurs pas, Raphaëlle sentit une frayeur lui traverser la poitrine. De quoi pouvait-il avoir l'air? Ces petites choses grandissent si vite. Elle espérait au moins pouvoir le reconnaître. Et elle n'y manqua pas en le redécouvrant. Il était arrêté devant elle, avec son sac au dos.

– Tu as bien grandi, lâcha-t-elle d'une voix pleureuse.

Elle se retenait de laisser couler, même si ses yeux pétillaient de larmes. Auriane effleura tendrement la tête du garçon et lui donna un ordre.

– Allez mon grand, dis bonjour.

Il leva son regard vers le psychiatre qui le rassura par un doux sourire.

– Bonjour... maman.

La larme coula et Raphaëlle se leva enfin pour l'attirer à elle. Le gamin de dix ans aggripa solidement les cuisses de sa mère. Emportée dans ses sanglots, Raphaëlle avait complètement oublié la présence de sa vielle camarade de faculté.

St Xavier était l'un des meilleurs internats du pays. Réputé pour ses élèves surdoués, sa discipline de fer, mais aussi pour accueillir les plus fortunés. Nombre de parents s'y ruaient pour l'instruction de leurs enfants.

Romann y était interné depuis l'âge de cinq ans. Il rentrait tous les ans pour les congés de fin d'année, de Pâcques et pour les vacances. Malheureusement, ces deux dernières années, Raphaëlle avait failli à cette coutume. Après le décès de son mari, le père de Romann, elle avait sombré dans un gouffre que seul Rayan avait le don d'éclairer. Alors, elle demandait à Auriane de servir des excuses à son fils.

Cette mère se demandait comment elle avait pu avoir le culot de laisser tomber son enfant. Déjà qu'elle le privait d'elle en l'enfermant dans ce pensionnat. Comment avait-elle pu ne pas s'en soucier durant ces deux dernières années?

Auriane était bénévolement psychologue dans cet internat. Romann était son petit protégé. Non seulement parce que sa mère et elles avaient étudié ensemble, mais aussi parce qu'il était le seul à n'avoir pas quitté cet endroit deux années de suite.

Raphaëlle s'abaissa à la hauteur de son bébé et saisit son menton.

– Ça va mon cœur? Tout se passe bien ici?

Il acquiesca de la tête.

– Tata Auriane a dit que tu étais très malade... depuis deux ans.

Raphaëlle leva son regard vers Auriane. Elle n'y était pas allée de main morte pour trouver une excuse.

– C'est la maladie qui t'a rendue plus belle alors, dit-il en tirant sur la joue de sa mère.

C'était la première fois qu'elle le voyait sourire depuis deux ans. Le bout de chou avait gardé son sens de l'humour. Raphaëlle se contenta de rire avant de déposer du rouge à lèvres sur son front.

– Oups, lâcha-t-elle en remarquant l'empreinte de ses lèvres. T'as un peu de rouge sur ton front. Attends je vais...

– Non, l'interrompit-il en arrêtant son doigt. Laisse ça là. Comme ça, je pourrai montrer à tout le monde que ma maman m'a fait un bisou.

Raphaëlle avait juste envie de se faire exploser la tête. Il lui rappelait trop son père. Elle avait peur de n'être pas à la hauteur, de lui faire du mal.

– Ça te dirait qu'on aille fêter Pâcques ensemble?

– Ça fait deux ans maman.

– Oui bien sûr. Tu sais, je ne suis pas aussi surdouée que toi.

– Et comment tu as fait pour être ophtalmologue alors?

Auriane et Raphaëlle rigolèrent. Mais Romann demeura de marbre. Il avait cette manie de s'empêcher de rire quand il rendait les autres hilares.

Dr DJENGUÈ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant