Chapitre 20: et si tu me laissais vivre tes peines?

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Les congés de Romann avaient pris fin depuis près d'une semaine. Et depuis ce fameux jour où ils avaient joué au basket-ball, Raphaëlle et Rayan ne s'étaient plus contactés.

Rayan était rentré quelques jours à Lokossa, là où vivait sa petite famille adoptive: papa, maman et Lucette. Ils étaient sa seule raison de vivre jusque là. Ils avaient pris soin de lui quand sa propre mère l'avait laissé pour mort.

Lucette était la fille biologique de ses parents. Elle passait son baccalauréat cette année. Et Rayan faisait de son mieux pour qu'elle ne manque de rien.

Bien entendu, tous ignoraient sa réelle profession. Autrement, ils n'accepteraient jamais l'argent qu'il leur offrait. Et pour lui, ce serait insupportable de voir sa famille retourner à leur vie d'avant. Ses parents constamment humiliés par le propriétaire ou encore sa sœur renvoyée pour non paiement des frais de scolarité. Rayan aurait bien voulu les faire emménager dans une autre maison. Mais son père avait insisté pour récupérer cette dignité que le propriétaire avait si souvent piétinée. Ils avaient donc effacé leurs grosses dettes et emménagé dans un appartement plus spacieux de la même cour.

De l'autre côté, Rayan ne voulait pas les faire débarquer à Cotonou. Il craignait non seulement qu'ils découvrent son gagne-pain mais aussi que sa sœur perde ses repères et bascule dans une vie d'arsouille. Il la préférait telle quelle, innocente et peut-être un tout petit peu ignare aussi. Contrairement à leurs parents, il n'en avait rien à faire de savoir si elle se mariait tôt ou pas. Il voulait juste la voir obtenir une place de choix dans ce monde où rien n'était gratuit. Seulement après, elle pourrait faire ce qu'elle voudrait. Cependant, il ne lui interdisait pas d'être approchée par les hommes. Ils ne devaient tout simplement pas passer avant ses études.

Raphaëlle quant à elle ne cessait de réfléchir à la requête de son fils. Il espérait commencer un collège normal. Mais sa mère n'était pas encore sûre de savoir gérer la situation. Elle s'en était pas mal sortie durant son séjour. Mais était-elle prête à reprendre son boulot de mère à temps plein?

DING DONG!

Raphaëlle n'attendait personne pourtant. Et il était presque 21 heures. Elle patienta quelques secondes et entendit un bruit de moteur. Il n'y avait qu'une seule personne qui faisait entrer son véhicule chez elle. Elle avait presque oublié que depuis qu'ils se fréquentaient, son portier avait pour ordre de le laisser entrer sans tracas.

TOC! TOC! TOC!

Sans faire semblant, elle alla ouvrir. Il entra sans placer un seul mot. Et lorsqu'elle eut fermé la porte, elle lui tomba dans les bras.

- J'ai cru comprendre que les congés de Pâques avaient pris fin vendredi dernier. Alors maintenant on va pouvoir être tranquilles tous les deux.

- Tu surveillais le départ de mon fils?

- Jamais de la vie. Je suis rentré hier.

- Comment ça rentré?

- J'étais allé passer un temps avec ma famille à Lokossa. Ma petite sœur est une collègienne alors j'ai accidentellement su pour la fin des congés.

- Accidentellement?

- Ça importe peu, tu ne trouves pas? Et puis à voir la façon dont tu me regardes, je suis pas le seul qui a manqué de quelqu'un.

- Et c'est reparti avec ça.

- Je t'avais bien dit que je te lâcherais pas. Tu vas pas me dire que t'es indifférente quand-même... Regarde un peu comment tu m'es tombé dans les bras... Regarde-moi... Je t'aime.

- Ray...

- Et je vais te le dire jusqu'à ce que tu comprennes.

Un premier baiser naquit.

- Moi j'ai envie de revivre ça, tu comprends? Cette sensation merveilleuse qui m'a envahi il y a environ trois semaines, quand j'ai découvert ce que ça voulait dire que de faire l'amour.

- Rayan...

- Dis-moi que tu n'as pas aimé. Que tu n'as aucune envie de revivre ça.

- Je ne peux pas, sussura-t-elle.

- Et pourquoi pas?

- Parce que ce n'est pas vrai.

La face de Raph se déforma et des sanglots éclatèrent.

- Je... je je je veux pas perdre ça. J'ai envie que ça continue.

- Alors pourquoi est-ce que tu mets ces barrières? Pourquoi tu te renfermes?

- Parce que je le mérite pas! Je mérite pas d'être aimée, d'être respectée je...

- Qui est-ce qui t'a mis des sottises pareilles dans la tête?

- Oh si tu savais Ray, tu ne parlerais pas comme ça.

- Savoir quoi? Que même ton mari te traitait comme du gibier?

- Quoi? C-comment...

- Ça semble évident pourtant. Dis-moi la vérité Raphaëlle, c'est lui qui t'a mis ces idées dans la tête?

- Ne parle pas de lui.

- Raphaëlle, il faut que tu guérisses.

- ET SI JE N'EN AI PAS ENVIE? HEIN? Et si j'ai pas envie de guérir? T'en as pas marre de me courir après comme ça?

- Eh bien non. Et sache que je continuerai le temps qu'il faudra.

- Dans ce cas, ménage ta monture. Maintenant vas t'en. Et ne m'oblige pas à le répéter.

- Sinon quoi?

Elle resserra ses mâchoires.

- Dis-moi une chose le gigolo, ça t'amuse de me mettre en colère, c'est ça?

- Non mais toi si apparemment. Mais ne vas surtout pas croire que tu vas réussir à m'arrêter avec ça. Je commence par être vacciné.

- Tire-toi.

- D'accord. Mais je reviendrai. Demain, après-demain, tous les jours, jusqu'à ce que tu te décides à parler.

- J'aurai qu'à t'interdire l'accès.

- Je ferai le mur.

- Tu vas finir électrocuté.

- Alors je serai l'un de tes patients à toutes les consultations.

- Tu sais que tu peux aller en taule pour harcèlement?

- Et toi t'auras le cœur à me balancer? Si t'y arrives, je te colle la paix.

Il s'approcha et lui baisa le front. Elle n'y opposa pas la moindre résistance et le laissa s'en aller.

Les larmes qui s'étaient arrêtées repartirent alors de plus bel. Tout dans sa tête s'emmêlait. Elle croyait savoir ce qu'elle voulait l'instant d'une seconde. Mais le poison que Raphaël avait répandu dans son esprit reprenait le dessus. Elle savait qu'elle avait besoin d'aide. Puis la minute d'après, elle se sentait digne d'être maltraitée.

Tout s'amalgamait. Elle commençait à se demander si la mort de son mari était réellement un accident. Tout ce qui lui revenait, c'était le corps de celui-ci étalé à même les carreaux mouillés. Elle avait juste envie de s'arracher les yeux pour ne pas revoir cette horrible image.

Elle se laissa choir. Dépassée, elle envoya son cri rauque déchirer l'atmosphère. Elle pensait endurer une nouvelle fois cette douleur, toute seule. Mais des doigts glissèrent dans son cou. Ils étaient chauds et tendres, contrairement à ce sol froid et dur.

- Je l'ai tué, tu comprends? J'ai voulu le tuer.

Sans chercher à comprendre, Rayan s'allongea derrière elle en petite cuillère. Elle n'était plus seule.

Dr DJENGUÈ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant