J'avais suivi mon meilleur ami après le bac, il fallait bien l'avouer. A la base les études n'étaient pas pour moi. Il voulait devenir infirmier, ç'avait l'air cool. Il était mon ami le plus précieux et je ne voyais pas tout recommencer, tout refaire avec d'autres personne. Au final, il avait arrêté au bout d'une année. Moi je m'étais spécialisé dans la rééducation à la suite d'un stage qui m'avait laissé le cœur lourd et l'âme ébahie.
C'avait rassuré mes parents qui me pensaient bon à rien. C'avait laissé mon frère de marbre, lui qui ne me donnait qu'une importance quelconque, plus âgé que moi, sa vie déjà construite. Réussite. Mes parents avaient fini par comprendre que je ne serai pas médecin, je ne gagnerai pas des millions, avec une belle maison, une belle femme et de beaux enfants. J'avais ravalé ma fierté, mon homosexualité et mes envies de meurtre.
J'aimais mon métier, j'aimais ce que je faisais. Malgré les peurs, les doutes, l'angoisse, l'attente, le temps, l'impatience, les chutes, les horaires et les salaires, les cris et les défaites ; Parce qu'il y avait les sourires, l'amour, la patience, le progrès, les pleurs, les réussites, la reconnaissance et la fierté.
J'ouvris les deux battants de la porte, rangeai mes clefs dans la poche de mon pantalon. Il n'avait décroché mot depuis que nous avions quitté la chambre et je m'étais contenté de le pousser le long du couloir. Sa tête rentrée dans les épaules, il ne regarda pas la salle.
J'avais tout rangé la veille au soir avec Romain, mon collègue. Les tapis étaient empilés au fond, en une pile parfaite. Les barres étaient bien positionnées, au centre de la pièce. Il y avait des anneaux suspendus, du matériel pour à peu près tout. Tous problèmes, tous âges.
Je m'éclaircis la voix pour retrouver une contenance face à lui.
"On recommence. Je m'appelle Diego et ma mission c'est de vous aider. On va vous faire remarchez ; pas aujourd'hui bien sûr, ça va prendre du temps et je ne vous cache pas que ça va être dur.
_ Tu sais motiver les gens toi."
Je ne me formalisais pas du tutoiement. Certains patients en avaient besoin pour trouver en moi quelqu'un de familier en qui ils pouvaient avoir confiance.
"La rééducation, en grande partie, elle va venir de vous. Accepter de ne plus avoir le contrôle de votre corps, accepter de réapprendre des choses très simples. Accepter de tomber, souvent, et devoir recommencer, souvent. Mais ça, ça ne peut venir que de vous. Vous êtes les jambes, je suis la canne.
_ T'en as des d'autres, des comme ça ? "Soyez votre plus grande force"? T'es mignon mais j'suis pas un Jedi."
Je posais mon visage dans ma main, assis sur le bord de notre bureau contre le mur. Je frottais mes yeux.
"Ok. Donc déjà, on sait que de regarder vos jambes en espérant qu'elles se remettent à marcher, c'est mort."
Il me jeta un regard assassin. Je souris intérieurement, en sachant que je ne devrai pas plaisanter ainsi.
"Vous êtes vraiment médecin ?
_ Non, j'ai vu votre porte ouverte et comme vous aviez l'air charmant j'ai eu envie de vous aider."
Il ne broncha pas, je soupirai avant de claquer mes deux cuisses du plat de mes mains. Je me redressai.
"Aujourd'hui, il s'agit de voir quelle force vous avez encore, on va essayer de vous mettre debout. Même si vous ne parvenez pas à marcher avant des semaines, des mois, ou plus, il ne faut pas que vous perdiez en masse musculaire, on a besoin de vos muscles.
_ Rassurez moi, vous dites "ou plus"...
_ Ca peut malheureusement prendre des années.
_ Non, le temps je m'en fous, mais ça ne va pas être vous à chaque fois ?"
Parti rapprocher les barres parallèles pour les amener près de lui, je me retournai. Je ne pus empêcher le sourire qui prit place sur mes lèvres.
"Si. Tous les jours. Pour les entraînements, les contrôles, les massages.
_ Vous allez me masser en plus.
_ On va se dire que ça ne me fait pas plus plaisir à vous qu'à moi, ok ? Et que plus vous ferez d'efforts, plus vite ce sera fini, et plus vite cette belle cohésion d'équipe sera terminée."
Sans attendre sa réponse, j'avance son fauteuil juste devant les barres. J'attrape son dossier et une feuille blanche sur laquelle je marque son nom après avoir décapuchonné mon stylo avec mes dents.
"Vous faisiez du sport avant ?
_ Non.
_ Un travail physique ?
_ Non.
_ Aucune activité ?
_ Non.
_ Et la moto ?"
Aucune réponse, son visage se figea. Les lèvres crispées, les yeux fermés. Je barrai le mot sur ma feuille.
"Avez-vous essayé de vous lever ces derniers temps ? Vous mettre debout en vous tenant à quelque chose ?
_ Non."
Pendant une seconde j'ai envie de le gifler, de le secouer parce qu'il m'inspirait une profonde rage. J'en avais vu des patients qui auraient tout donné pour arriver ici, avoir la chance de pouvoir essayer de se lever. Mais qui ne pouvaient pas, ne pouvaient plus, ne pourraient jamais plus. Et lui restait là, stoïque et enragé comme un chat de gouttière.
"Pourquoi ne voulez-vous pas ?
_ Ça vous r'garde pas.
_ Peut-être. Peut-être pas. Mais je vais pas vous lâcher vous savez. Et je peux sans doute vous aider, sur d'autres choses que juste vous mettre debout."
Je n'aurai pas dû dire ça non plus, je le compris quand il me foudroya d'un regard ardent. Il me fixait avec une haine sincère, les mains crispées sur ses genoux. Il retomba soudain, mou dans le fauteuil, les épaules affaissées et le visage défait. Je reposai ma feuille, pas certain de ce qu'il venait de se passer.
"Ramenez-moi. S'il vous plait."
Les bras ballants, je le regardai. Il était vraiment jeune, j'en pris conscience. Un visage dur dans un corps juvénile. Il pinça l'arrête de son nez, inspirant longuement en un souffle lourd. Je m'approchai d'un pas.
"Je...
_ Ramenez-moi ! Hurla-t-il."
Je reculai, une main sur le cœur. Il fixait ses pieds, l'air dément, les yeux exorbités. Les larmes me montèrent aux yeux.
Par les portes toujours ouvertes, je vis le visage de Romain apparaître, paniqué. Il nous regarda à tour de rôle, lui dans son fauteuil, et moi, coi, un mètre plus loin, incapable de bouger.
"Tout va bien ?"
Aucun de nous deux ne réagit. Il soufflait, sa poitrine se soulevant rapidement sous la blouse d'hôpital. J'avalais ma salive difficilement, secouai la tête.
"Euh... Tu... Tu pourrais le ramener dans sa chambre s'il te plaît ?"
Romain hocha la tête sans plus en demander. Il guida le fauteuil jusqu'à le faire disparaître de ma vue. Je restai sans bouger avant d'éclater en sanglots. Épuisé, désabusé, en colère contre moi-même. La semaine allait être dure.
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Blouse blanche [BxB]
General FictionPour Diego, il va être difficile de rester professionnel face à Brahim, son nouveau patient récalcitrant. Mais entre conscience professionnelle et amour, Diego devra faire un choix. Contenu mature.