Un patient m'attendait devant la salle de motricité quand j'en sortis. Il n'était même pas huit heures et j'avais eu la brillante idée d'arriver en avance pour faire du tri dans mes papiers. Je pris le temps de le recevoir un instant, ne pouvant m'empêcher de jeter des coups d'oeil réguliers à la pendule, tapant du pied sur le sol. Depuis le fond de la salle, à son propre bureau, Romain me regardait avec un petit sourire en coin.
Je saluai mon patient après lui avoir donné un vrai rendez-vous, puis je me hâtai vers la chambre 248. Un fauteuil roulant avait été laissé devant la porte.
J'entrai après avoir frappé, il ne me salua pas. Le plateau du petit déjeuner n'avait pas été touché. Je fronçai les sourcils en lui offrant un regard sévère.
"Tu n'as pas mangé.
_ Je n'ai pas eu mon croissant."
Je pouffai en me déridant, dos à lui. Je fouillai ma poche, lui tendit le paquet en papier brun, marron, tâché de beurre. Il me fixait, interdit.
"Je croyais que tu avais des "relations".
_ Oui. Avec ma boulangère. Deux achetés, le troisième offert.
_ Élégant.
_ Bon, tu le prends ou pas ?"
Je me sentais soudain gêné. J'avais l'impression de redevenir l'adolescent malhabile et timide qui regardait les garçons du fond de la salle de classe sans jamais rien leur dire. A rougir, dès qu'ils me regardaient par hasard, me plongeant dans ma trousse ou mon sac pour essayer de disparaître.
Il se saisit du sachet, en sortit le croissant légèrement écrasé. Il le fit tourner dans ses mains maigres.
"Merci, murmura-t-il."
Je ne dis rien, ce fut moi qui fixais mes baskets. J'attendis qu'il ait fini de manger, étalant des miettes en tous sens. Il secoua son tee-shirt, frotta son jogging, noir aujourd'hui.
"Je vais faire la même chose qu'hier, lui appris-je. De la même façon."
Il hocha la tête, assis au bord du lit, essayant de soulever ses jambes pour s'allonger.
"Laisse-moi faire."
Je saisis ses deux chevilles, soulevant ses jambes fines pour les installer sur son lit. Je remontai le jogging au-dessus de ses genoux. Sa peau dégageait encore l'odeur de la menthe de mon huile, ça me fit sourire.
Je commençai par ses chevilles, les prenant dans mes mains.
"Vert ? Murmura-t-il."
Il avait parlé si doucement que je n'étais pas sûr de l'avoir bien entendu.
"Bleu, je lui répondis après avoir réfléchit."
Je répétai les mêmes gestes que la veille, prenant soin de masser les muscles doucement, puis pliant la cheville, le genou, dans différentes directions.
"Chaud ?
_ Froid.
_ Plage ?
_ Montagne."
Il y avait des moments de silence où il réfléchissait. Il regardait parfois ce que je faisais, mes mains sur ma peau.
"Eau ?
_ Feu.
_ Glace ?
_ Feu ?"
Je pliai et dépliai sa jambe gauche, puis passai à la droite. Je remontai son genou jusque son torse, appuyant de mon poids sur lui. Je l'écoutai respirer avec difficulté.
"Je te fais mal ? M'enquis-je.
_ Non."
Je continuai alors. Je m'éloignai, fis travailler une jambe après l'autre.
"Blanc ?
_ Noir.
_ En-haut ?
_ En-bas.
_ Amour ?
_ Haine.
_ Homme ?
_ Homme."
Il se tût, l'air satisfait. Je reposai ses deux jambes, essuyai mes deux mains.
"Je vais essayer de te mettre debout. Tu t'accrocheras au montant du lit.
_ C'est bien parce que j'ai eu un croissant."
Je lui souris en tendant mes bras. Il s'accrocha à mes avant-bras, je le tirai. Il fut soudain debout, ses doigts enfoncés dans ma peau. Je le tenais au niveau des coudes, je resserrai ma poigne inconsciemment, il me faisait mal. Il était si concentré, il me regardait pour la première fois dans les yeux, sans plus me lâcher. Son visage se déformait de plus en plus tandis que je comptais les secondes dans ma tête.
Je commençais à la relâcher doucement, le pensant prêt à retomber. Mais il s'accorcha encore, plus fort.
"M'lâche pas."
Alors je le serrais. Il tint encore quelques secondes avant que je ne le repose sur le bord du lit.
"C'est super Brahim. Ce que tu fais est super."
Il se contenta de hocher la tête. Je rangeai mes produits en silence.
"Tu en as beaucoup des patients ?
_ Quelques-uns oui.
_ Et des comme moi ?
_ Des chiants tu veux dire ?"
Sa bouche s'ouvrit, ses yeux aussi, puis un demi-sourire pointa sur ses lèvres.
"Arrête, j'sais que tu m'aimes bien au fond. Des patients qui ne marchent pas, reprit-il face à mon silence.
_ Actuellement tu es le seul."
Il opina. Je ramassai aussi son plateau non touché, l'emballage du croissant roulé en boule.
"Mais tu n'es pas le premier."
L'ombre de son sourire ne disparaissait pas.
"J'ai pas eu de viande hier soir.
_ Tant mieux.
_ Et j'ai eu un croissant ce matin.
_ Quelle générosité de celui qui te l'a amené !
_ Je me disais que..."
Je refermai mon sac, le posai à mes pieds en attendant. Il regardait par la fenêtre, fermée par un verrou qui donnait sur le toit mousseux du bâtiment des urgences.
"Tu as l'air doué pour exhausser les souhaits.
_ Ne me surestime pas, je ...
_ Je voudrais sortir, me coupa-t-il. J'en ai marre d'être enfermé. Je voudrais juste faire un tour dehors.
_ D'accord. Demain j'arriverai plus tôt, et nous pourrons descendre dans le parc. Ce te va ?"
Il ferma les yeux une longue seconde pour me faire signe que oui. Ça lui allait. Je le saluai d'un signe de tête avant de sortir.
"A demain Brahim.
_ A demain. Diego."
VOUS LISEZ
Blouse blanche [BxB]
Ficción GeneralPour Diego, il va être difficile de rester professionnel face à Brahim, son nouveau patient récalcitrant. Mais entre conscience professionnelle et amour, Diego devra faire un choix. Contenu mature.