Chapitre 4.

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Il faisait beau quand j'ouvris la fenêtre qui menait à mon balcon. Un ciel bleu qui s'étendait par-delà les toits des immeubles. Je m'étais levé en avance, avait eu le temps de prendre une vraie douche et de boire un café entier. Corentin, l'inconnu de la veille était parti sans me demander de rester dormir chez moi et je l'aurai remercié milles fois pour ça. Il avait été l'exemple du bon coup, je me sentais plus détendu que je ne l'avais été depuis des semaines.

J'arrivai presque souriant à l'étage trois de l'hôpital. Je passai ma tête dans la salle de repos en sortant des vestiaires ; personne. Je traversai le couloir le pas léger, d'une humeur bien plus égale que la veille.

La porte de la chambre 248 était fermée, je frappai deux coups avant d'entrer sans attendre de réponse. La chambre était vide, mais la porte de la salle de bains ouverte et la lumière allumée dessinait un rai de lumière sur le sol en lino. J'attendis.

La porte s'ouvrit, laissant apparaître le fauteuil, de dos, et Brahim qui vint se mettre dans le fond de la pièce, le plus loin possible de moi. Il avait retiré la blouse d'hopital pour passer des vêtements plus classiques ; un jogging large et un pull en coton gris dont les manches étaient relevées sur ses avant-bras. Je lui souris.

"Bien, on...

_ Non. Ça me fait mal au cul de l'avouer, mais je suis d'accord. Plus vite ce sera fini, plus vite je pourrai partir. Mais je ne veux rien, ni phrase d'encouragement à la con, ni discours de motivation, ni applaudissements et câlins de fin de séance.

_ Je ne... Pratique pas de "câlins de fin de séance".

_ Tant mieux. Je ne veux pas que tu me touches."

J'opinai, les bras croisés sur mon torse, dans ma blouse blanche. Il finit par inspirer longuement, d'un coup de tête me désigna la porte que j'avais laissé ouverte. Je me collai au mur pour le laisser passer, manipulant seul le fauteuil. Il ne m'avait rien demandé, je ne lui proposai rien, ni de l'aider, ni de le diriger. De lui-même il partit jusqu'au fond du couloir, vers les portes à double battant grandes ouvertes.

Sur les tapis du fond, Romain travaillait avec une jeune femme brune que j'avais déjà vue plusieurs fois. Nous nous saluâmes d'un signe de main. Brahim s'était arrêté devant les barres parallèles, les fixant d'un air méfiant. Je signais mon registre, ouvert sur mon bureau, indiquait le nom du patient, la date, ce que nous allions faire.

"On va essayer de vous mettre debout. Juste ça. En vous tenant le plus fort possible, chacune de vos mains sur les barres. Le plus gros du travail, c'est votre force mentale.

_ Et toi, tu sers à quoi ?"

Je ne pus m'empêcher de sourire. Les patients n'osaient pas me poser la question quand je leur disais que le plus gros venait d'eux. Pourtant, on me lançait souvent ce regard perplexe qui voulait tout dire.

"Je regarde, j'analyse, je corrige. Le corps perd l'habitude, les muscles n'ont plus la même tonicité, les mêmes réflexes. Je dois voir tout ça, savoir comment et combien de temps on va travailler. Quels exercices on va pouvoir faire. Il faut apprendre à perdre le contrôle de son corps, accepter que le corps ne veuille pas faire ce qu'on lui demande de faire, accepter de tomber et de devoir tout recommencer, réapprendre les choses les plus simples."

Il se mura dans un habituel silence, fixant de son habituel regard sévère les deux barres. Je m'approchai, les rapprochai l'une de l'autre, glissai un tapis au sol.

"Bon, je vais vous aider à vous lever. Dès que vous le pouvez, vous vous attrapez. On voit combien de temps vous tenez debout."

Je passai mes bras sous ses aisselles, la tête dans son cou, les genoux fléchis. Je n'eus pas grands efforts à faire pour le soulever, véritable poids plume dans mes bras. Il attrapa d'un geste vif les deux barres. Je le lâchai, gardant mes mains près de lui sans le toucher. Dans le grand miroir en face de nous, recouvrant une importante partie du mur, je vis son visage se déformer. Tout son visage se contracta, les lèvres serrées, les ailes du nez dilatées, les yeux inexorablement fixés sur ses pieds. Les jointures de ses mains blanchirent. Il essayait de faire bouger sa jambe gauche, je le voyais. Il souffla, grogna puis soudain tomba. Je le rattrapai avant qu'il ne touche le sol.

"Vos jambes ne bougeront pas aujourd'hui, il ne faut pas en demander trop au corps. Chaque seconde de plus que vous tiendrez sera déjà un grand pas.

_ J'ai dit quoi sur les phrases de merde ?"

Je souris encore, alors que je le tenais dans mes bras, penché en avant.

"Non en plus c'est vrai que moi j'aurai fait mieux que ça. C'était minable."

Il me lança un regard noir qui me fit sourire un peu plus, malgré toute la haine au fond de ses yeux, cette lueur de défi toujours qui me donnait envie de le pousser plus loin, voir jusqu'où il était capable d'aller. Je le pensais sincèrement capable de me mordre.

"Maintenant, reste à savoir si je vous remets debout et on réessaye ou si je vous remets dans le fauteuil pour vous ramener dans votre chambre."

Son regard se tourna vers ledit fauteuil, puis remonta vers les barres au-dessus de sa tête. Sans un mot, il se contenta de lever les bras. Je l'aidai à se hisser, recommencer.

Il tomba trois fois de plus, la dernière fut celle de trop. Je n'eus pas le temps de le rattraper, il était resté debout quelques secondes à peine avant de s'effondrer en hurlant. Il n'avait pas mal ; il hurlait d'agacement, de rage. Je me précipitai sur lui, le retint par les poignets alors qu'il se frappait vivement les cuisses de ses poings.

"Brahim arrête ! Tonnais-je."

Nous étions à présent seuls, Romain avait quitté la pièce plus tôt. Nous étions depuis près d'une heure, mais chaque étape prenait un temps considérable. Il ne m'écouta pas, continuant de s'agiter, me frappant moi plutôt que lui alors que je l'enserrai.

"C'est de la merde tout ça ! Je ne marcherai plus jamais !"

Je serrai ses bras avec les miens, le tenant le plus fort possible contre moi. Tout son corps était secoué de spasmes que je compris être des larmes. Il hurla encore, je tournai la tête pour échapper à sa colère.

"Brahim stop !"

Je le redressai de force, le rassis dans le fauteuil. Il pesait bien plus lourd d'un coup. Je le maintins de force, mes mains serrées sur ses épaules. Il ne pleurait pas, il tremblait, les yeux fermés, mordant ses lèvres ; il se retenait.

"Ton corps a besoin de temps...

_ Tais-toi. Ramène-moi."

Sa voix était hachée, son souffle hiératique. Je soupirai, repoussai mes cheveux. Je tus mes phrases à la con que j'aurai dites en temps normal, parce qu'il était tout sauf normal, et le poussai jusqu'à sa chambre.

Blouse blanche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant