Chapitre 26

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Dire que je tournais en rond était un euphémisme. Je ne doutais pas qu'il se soit endormi peu après son retour dans la chambre. Je ne dormais pas moi.

Je ne reçus aucun message, mon téléphone obstinément silencieux. Allongé sur le dos, je me ris de moi. Dire que je l'aimais bien était un euphémisme. Une foutue blague.

Les deux mains sur mon visage, je me mis à rire d'un rire un peu fou, un peu triste. A qui je voulais faire croire ça ? Je jetai un coup d'œil à l'heure ; minuit passé. Je soupirai, caressai du bout du pied Marcel qui dormait au bout de mon lit. Il ne bougea pas une oreille.

Je finis sans aucun doute par m'endormir, je me réveillai en travers de mon matelas, semblant goûter encore ses lèvres sur les miennes, dur dans mon caleçon, haletant contre mes draps. Un adolescent en chaleur.



Il était ma première visite du mardi matin. Je ne pus rien dire, rien boire, j'étais tétanisé à l'idée de le revoir. Une voix au fond de ma tête me criait de faire demi-tour, lui dire que je ne pouvais pas venir. Que j'étais malade. Mais moi le premier je lui avais joué la carte de professionnel sérieux que rien n'ébranlait et il était primordial qu'il continue de travailler.

J'entrai en fronçant le nez, incroyablement gêné, faisant chouiner la semelle de mes baskets. Il ne m'avait pas plus envoyé de message le matin que la veille. J'espérais presque qu'il dorme encore, pour qu'il y ait une justification à son silence. Mais il était bien réveillé, assis au bord de son lit devant un bol de céréales sans couleur, sans lait. Sans gout.

"Salut."

Je pinçai les lèvres en m'adossant au mur, les mains dans le dos. Il tourna vers moi un visage adorablement chiffonné de sommeil et rougit.

"Diego, je suis désolé. De ne pas t'avoir parlé.

_ Je ..."

Je perdis mes mots devant ses grands yeux de prince de dessin animé, brillants, battant de ses longs cils bruns, humides.

"Je ne savais pas quoi te dire, reprit-il.

_ Moi non plus, avouai-je.

_ Je sais très bien que nous nous sommes emportés et que ça ne peut pas se reproduire. Je le sais Diego."

Je tordais mes doigts en mordant mes lèvres. J'aurais voulu lui dire d'arrêter de murmurer mon prénom, que ça me faisait revenir des souvenirs de mes rêves de la nuit. Il faisait encore si beau dehors, la lumière pâle du matin caressait son visage et le rendait beau à sa pâmer.

L'entendre prononcer les mots que je m'étais moi-même répété des heures durant me fit pourtant mal. Savoir que lui aussi en avais conscience rendait les choses plus difficiles à accepter ; j'aurais presque eu une excuse pour céder si lui avait craqué le premier. Au moins n'en avait-il pas après moi.

En silence je me rapprochai du lit, me décollant du mur. On m'avait toujours reproché d'être impulsif, d'agir sur des coups de tête qui ne m'apportaient jamais rien de bon. C'était vrai ; je marchais comme ça. "Au cœur de cœur" disait ma grand-mère.

Je me penchai vers lui, le regardant fermer les yeux, ses lèvres s'entrouvrant pour ne laisser échapper aucun souffle. Il ne cherchait pas à fuir, à m'éviter et je souris. Je posai ma main sur sa joue avec une tendresse inédite pour moi. Il soupira, je me résolus à embrasser simplement sa joue, inspirant profondément son odeur douce.

" Nous ne pouvons effectivement pas nous laisser de nouveau. Mais je ne regrette rien, susurrai-je contre son oreille."

Il rouvrit instantanément les yeux, gardant sa joue dans le creux de ma main et je me noyai dans son regard à la couleur de la nuit sans pouvoir rien y faire.

"Moi non plus. Et je ne te dirai pas à quel point je voudrais recommencer.

_ Non, ne le dis pas. Et je ne le dirai pas non plus."


Ce matin-là, Romain travaillait aussi en salle de motricité. Sa présence nous obligea à garder toutes nos distances. J'avais l'impression d'avoir deux mains gauches, rendu maladroit par sa proximité. Je me laisser distraire par la contemplation de son torse en transparence dans son tee-shirt blanc, la rondeur de ses muscles qui ressortaient de ses bras minces. Je frémis au souvenir de son torse nu et mouillé contre le mien, la tiédeur de sa peau.

Je le dis travailler cependant avec un acharnement démesuré, nous surpassâmes ses limites. Comme la veille, il réussit le parcours en moins de temps, plaçant chaque fois un peu mieux ses pieds, maintenant ses hanches un peu plus droites, pliant un peu plus son genou, soutenant un peu plus son dos. Je le rattrapais chaque fois qu'il chutait, ne cessant de l'encourager à voix basse.

A la fin de la séance, il était certain que son temps à l'hôpital était compté mais la question restait "et après ?".


Je remplissais mes dossiers en salle de repos par gain de place, m'étalant sur la table circulaire, une tasse de thé à la main, le crâne en vrac. Je clôturai le dossier de deux patients qui partiraient aux archives médicales, puis j'arrivai à celui de Brahim. Les informations dansaient devant mes yeux sans que je n'arrive à me concentrer dessus. J'aurai voulu notifier qu'il lui fallait encore au moins un mois de rééducation pour pouvoir le garder près de moi plus longtemps, et finalement, dire qu'il pouvait sortir demain, pour me délester du poids de l'interdit.

Mon portable vibra et je souris par réflexe, mais il s'agissait d'un message de mon frère. Ezéchiel avait fini ses cartons plus tôt et me proposait un verre ce soir pour noyer son désespoir. Ça allait devenir une habitude familiale mais j'acceptai.

Sans rien pouvoir ajouter de plus, je refermai le dossier de la chambre 248. Je ne pouvais pas décider la tête si pleine, sans en savoir plus. Je refusai de me dire qu'il se retrouverait seul à la sortie sans plus personne et sans repère.

Je réitérai par message comme j'étais fier de lui, de tous les progrès qu'il faisait, du sérieux qu'il mettait. Puis je lui proposai de sortir à nouveau de l'hôpital le lendemain matin ; il accepta sans hésiter.

Je remis à la jeune femme en pull rose mes deux dossiers clôturés qu'elle tamponna sans même les regarder. Elle avisa celui que je gardais coincé sous mon bras.

"Et celui-ci ?

_ Il me demande encore un peu de temps." 

Blouse blanche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant