Chapitre 13.

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Je poussai du pied la chaise sur mon chemin, l'envoyant cogner contre le mur. Je claquai la porte du micro-ondes. Il était treize heures deux quand on m'annonça une réunion de personnel pour notre service. Medhi m'observait, médusé.

"T'es sûr que ça va toi ?

_ Fais chier putain ! J'aurai pas le temps de manger !

_Ok. Ok... Tu sais, Dieg, elles ont l'air très bonnes tes pâtes, mais t'es sûr que c'est le seul problème ?"

Mes mains tremblaient sur le bord de l'évier. Je fermai les yeux. Sans que je ne l'entende arriver, il vint poser sa main sur mon épaule.

"Toute ma vie part en couilles, lâchais-je."

La pression de sa main se fit plus forte pour m'inciter à me retourner. Je lui fis face, désarmé. Il ouvrit grand ses bras, je me serrai contre son torse. Je respirais lourdement, le laissant me serrer fort. Il n'y avait rien d'étrange ; plus grand que moi, il posa son menton sur le sommet de mon crâne. Ses mains frottèrent vigoureusement mon dos.

"Pourquoi tu te mets dans de tels états ?

_ Rien. C'est un tout. Je craque..."

Il se recula un peu pour voir mon visage. Medhi avait de ces visages calmes qui vous rassurent, d'une humeur toujours égale, un sourire pour tout le monde. Presque tout le monde.

"Hé, fais gaffe à toi, Diego. Si tu craques, tu te mets en danger. La santé d'abord.

_ J'sais. C'est juste en ce moment, c'est compliqué.

_ Oh, tu fais gaffe d'accord ?"

Je haussai les épaules en hochant la tête.

"Et si tu veux me parler, tu viens. De quoi que ce soit, n'importe quand.

_ Ouais, ok."

Il avait gardé ses mains sur mes épaules, son visage surplombant le mien, légèrement rond, une moue inquiète qui tordait ses lèvres.

La porte de la salle s'ouvrit dans notre dos, nous faisant parvenir le bruit du couloir chargé de patients et autres chariots cliquetant.

"Vous venez ou vous touchez ?"

Nous nous décalâmes tous deux pour voir qui avait ainsi fait irruption. Nous découvrîmes Jérémy, nous fixant depuis le seuil de la pièce, planté là en blouse blanche. Ni Medhi ni moi n'esquissèrent un geste de recul.

"Apparemment vous vous touchez.

_ Dégage, non ? Lança Medhi."

J'eus un sursaut amusé. Jérémy fit marche arrière, sans refermer la porte.

"Allez, hauts les cœurs ! Allons écouter les recommandations de nos chers chefs."

Je lui souris timidement, le coeur toujours triste.

"Y a-t-il un problème à signaler avec les patients ?"

Nous regardions tous en direction de nos trois chefs, rassemblés en bout de table, serrés en rang d'oignon. Nous étions tous assis là depuis une bonne demi-heure, à entendre les mêmes choses qu'à chaque réunion, remuer le merdier de nos services sans jamais donner de solutions.

Carole leva la main la première tandis que levai les yeux au ciel.

"Oui. Ma patiente chambre 400 se plaint que l'on ne répond pas à ses appels la nuit."

Son regard se porta sur Coralie, assise à la table d'en face, les bras croisés sur sa poitrine.

"Elle devrait déjà arrêter de nous appeler pour rien, répondit la concerné. On ne peut pas venir dès qu'elle fait tomber son paquet de mouchoirs."

J'écoutais à peine, d'une oreille plus que distraite. Je me laissai couler dans le fond de ma chaise, surveillant l'heure. Je n'allais pas m'éterniser. Je patientais en silence un long quart d'heure supplémentaire, chacun allant de son problème qui se terminait souvent plus en règlement de compte qu'autre chose. Nous étions quelques-uns à nous murer dans le silence.

"Et par rapport à la 248 ? On fait quoi ?

_ Moi je m'occupe plus de cette chambre."

Je relevai la tête, ma curiosité piquée au vif.

"Quel est le problème ? S'enquit Mme Ledû, notre chef de service.

_ Son comportement. Il est insupportable !

_ Il refuse de manger, il a mordu Medhi, nous jette de la nourriture.

_ Une fois ! Eructais-je."

Je n'avais pas voulu le dire à voix haute mais ma langue avait été plus vite que mon cerveau. Toutes les têtes se tournèrent vers moi, stupéfaites.

"Je parlai de "jette de la nourriture". Personne s'est inquiété de sa feuille de renseignements vide, ou le fait qu'il s'agisse d'un patient isolé, personne n'a réagi.

_ Eh bah il a trouvé son chevalier servant, grinça Jérémy."

Le silence tomba, lourd. Je me mis à jouer avec le stylo que j'avais pris pour faire semblant de prendre des notes.

"M.Oliveira, votre entente avec le patient est-elle bonne ?

_ Oui. Non... C'est un patient, je ne me pose pas de questions."

En le disant, je réalisai à quel point c'était faux. A quel point je m'en posais, des questions.

"Peut-être pourriez-vous l'encourager à être plus aimable avec le personnel ?

_ Parce que vous pensez que je l'applaudis quand il fait du jeter de compote ?"

Ma chef me fixa une longue seconde sans que je ne baisse les yeux. J'entendis Jérémy pouffer dans son coin, l'air goguenard.

"Non, tu lui réserves mieux que des applaudissements."

Ebahi, je restai la bouche ouverte à le regarder sans savoir quoi lui répondre.

"Veuillez préciser votre pensée, M.Masson.

_ M.Oliveira sait c'que j'veux dire.

_ Non, je ne sais pas non ! Mais on va faire un truc, tu vas t'occuper de ton cul, continuer de te branler dans les vestiaires et bien me laisser tranquille."

Je me levai en faisant racler ma chaise.

"Vous m'excuserez, mais si pour entendre encore une heure qu'il faut faire de beaux efforts pour faire du beau travail avec une belle cohésion d'équipe pour avoir de belles subventions, je vais aller bosser." 

Blouse blanche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant