Chapitre 18.

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Je poussai le fauteuil sans rien dire, ses mains pendant sur le côté. Il avait remonté les manches de son sweat jusqu'aux coudes. Nous étions seuls dans la salle de motricité, je l'amenai jusqu'aux tapis bleus et épais du fond. A l'écart, dans une légère pénombre car nous n'avions jamais changé les deux ampoules, il se laissa faire pour que je le pose au sol.

"Diego, je voudrais te dire... Oublis. S'il te plaît. C'est étrange comme ambiance là.

_ Excuse-moi, c'est pas volontaire. Ce n'est même pas à ça que je pense en plus.

_ Alors qu'est-ce qu'il y a ? T'es bizarre.

_ Tu me dis tout le temps que je suis bizarre.

_ Parce que t'es bizarre."

J'esquissai un sourire dans sa direction en me laissant tomber assis à côté de lui. Je ramenai mes jambes vers moi, les serrant contre mon torse. Il gardait ses jambes tendues devant lui, en appuis sur ses mains.

"Je me demande juste... Qu'est-ce que tu feras après ?

_ Tu vas me ramener dans ma chambre, il sera l'heure de manger, et je vais regarder les Feux de l'amour. Aujourd'hui Johnny avoue à Maggie qu'il est en fait son père en plus d'être son frère et un peu sa tante aussi.

_ T'es con, pouffais-je.

_ Eh bah, on se lâche sur la familiarité docteur !

_ Excuse-moi. Je ne devrais pas en plus. Je me demande juste où tu vas aller, qui va t'aider à t'occuper de toi, à surmonter tout ça."

Il ne baissa pas les yeux, fronça les sourcils alors qu'il réfléchissait. Mon ventre se tordit en attendant une réponse, en attendant la réponse que je voulais entendre.

"Quand j'étais petit, murmura-t-il, quand on allait en vacances dans la famille l'été, mes cousins jetaient des pierres sur une maison tous les matins, et ils riaient. Un jour je leur ai demandé pourquoi ils faisaient ça. Ils m'ont répondu que c'était la maison des pédés. Que les pédés, fallait leur faire comprendre que ce qu'ils font, c'est impur."

Mes poings se serrèrent sur les tapis, mes ongles dans ma chair. J'inhalai longuement.

"Tu te doutes bien donc, que quand j'ai réalisé que le p'tit voisin d'à côté me plaisait bien, je ne me suis pas empressé d'aller le dire à ma famille, ricana-t-il. Je me suis tu pendant un moment, parce que peu m'importait de cacher tout ça, je n'y réfléchissais pas, je pensais seulement à mes études. J'espérais que mes bons résultats permettraient à ma famille d'être fière et qu'ils seraient simplement heureux que je le sois aussi. J'ai décidé de leur en parler à mes parents un jour parce que je pensais... Je pensais qu'ils m'aimaient, avant tout et avant Dieu. Je pensais qu'ils voyaient les choses différemment que le reste de la famille. Le seul qui m'a compris c'est Yanis.

_ Yanis ? Murmurais-je en voyant les larmes ruisseler sur son visage."

Il éclata en pleurs sans plus d'explication. Je me traînais sur le sol jusqu'à arriver à son niveau. Je le tirai vers moi, le serrai dans mes bras en refusant de me poser la moindre question. Ses mains s'accrochèrent à ma blouse avec une telle force qu'il la déboutonna de moitié. Il faisait une crise d'angoisse, ne parvenait plus à respirer, tremblant de tous ses membres. Son visage était figé en une moue de douleur qui me fendit le cœur. Je n'aurais pas dû ressentir ça, pas comme ça.

"C'est de ma faute s'il est mort, il m'aimait..."

Il eut un hoquet qui lui coupa le souffle. Je pensais comprendre.

"C'était mon jumeau, et il... Il n'est plus. Ma moitié, mon double... Tout ce que j'avais."

Je peinais à comprendre ce qu'il me disait, sa bouche déformée par sa moue de douleur.

"Il était le seul à me comprendre. Ce soir-là on avait décidé que... J'irai vivre chez lui. Il travaillait déjà lui, pendant que nos parents payaient mes études. Je n'avais pris que quelques affaires. Nous ne sommes jamais arrivés... Je me suis réveillé ici, lui ne se réveillera jamais."

Les larmes brûlaient mes yeux, je mordis aussi fort que je le pus ma langue et l'intérieur de mes joues pour ne pas céder. Je n'avais pas le droit d'être triste pour une histoire qui lui appartenait, je pouvais être ému, mais pas touché. Ses mains ne me lâchaient pas, au contraire, il s'agrippa plus fort encore. Sa tête enfin se posa sur mon épaule pour y pleurer encore. Je passai mes bras dans son dos pour le tenir contre moi.

"Tu n'es responsable de rien Brahim. Ce n'est pas une punition divine.

_ Mais qu'est-ce que je vais devenir après moi ? Y a plus personne pour moi Diego. Ma mère est venue me voir une fois, comme une inconnue, pour m'amener du linge et signer deux papiers, pas plus. Elle ne m'a même pas parlé, même pas regardé. Je n'étais plus digne de son attention, plus digne d'être son fils."

Je ne pus rien dire, parce que je n'avais ni les mots ni la solution. Je n'avais pas le cœur à lui parler d'association qui pourraient s'occuper de lui, lui dire que des inconnus pourraient l'aider à reconstruire une vie qui serait difficile chaque jour, loin de tout et de tout le monde.

"Aide-moi à marcher à nouveau Diego."

Je hochai la tête sans lâcher des yeux son visage trempé de larmes mais son regard déterminé. Son regard qui en voulait en dire bien plus que le simple fait de marcher. Il essuya ses joues, je me penchai vers lui sans réfléchir, je passai mon pouce sur sa pommette pour sécher ses pleurs. Il ne dit rien, me regarda, son visage si près du mien que le sentais respirer. Je ramenai ma main à moi, me relevai sans un mot.

"Allez, debout ! Lançais-je avant de tourner le dos pour aller chercher une balle."

Je ne manquai pas le petit rire qu'il lâcha derrière moi.

"T'es con."


Il s'appliqua sur chaque exercice, concentré et efficace. Je sentais son corps se tendre entre mes mains, ses jambes qui doucement commençaient à le faire souffrir. Il grimaçait, râlait contre lui-même, pestant quand il n'y arrivait pas. Je tentais de l'apaiser en lui parlant d'une voix calme, lui rappelant que personne n'attendait qu'il réussisse aujourd'hui.

"Tu fais des progrès incroyables, Brahim. Je suis des patients pendant des années pour certains, parfois pour des résultats très peu probants. Alors ne sois pas trop dur avec toi-même. Tu marcheras à nouveau, j'en suis certain.

_ Je n'ai pas de massage aujourd'hui ?

_ Si, sans doute, mais pas ce matin. Je passerai en fin d'après-midi si tes jambes te font mal.

_ Elles vont me faire mal ?

_ J'espère !"

Il sourit en levant un sourcil.

"Tu les beaucoup sollicité ce matin, tu ne les sens pas encore assez pour te rendre compte de l'effort demandé. D'ici quelques heures sans doute, les courbatures vont arriver et elles vont te paraître vraiment intenses. Fais-moi appeler si c'est le cas." 

Blouse blanche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant