Chapitre 33

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Je tirai à moi la chaise de plastique orange, m'installai autour de la table qui avec les autres, réarrangées, formaient un U. Je n'avais pas eu le temps d'atteindre mon bureau en ce lundi matin, Jessica m'avait arrêté en cours de route. La mine contrite, elle m'avait sorti un sourire un peu trop crispé pour que je ne pressente pas ce qui allait arriver.

"Ecoute, Dieg', Mme Ledû a convoqué le conseil d'administration pour faire le point sur la situation.

_ Salle 4 ? Marmonnai-je."

Elle pianotait comme toujours de ses longs ongles sur la surface propre et organisée de son bureau. Elle soupira en hochant la tête et me tendit une feuille qu'elle sortit d'un paquet bien ordonné.

"Tes rendez-vous de ce matin ont été décalés pour les extérieurs, Romain s'occupent des internes."

Mon cœur se serra malgré tout à l'idée que mes patients pâtissaient de mon énervement et de mon comportement de sale gamin. Mon nom s'étalait en lettres grasses en objet sur la feuille, l'horaire et la salle juste en-dessous. Je ne pris pas la peine de lire, après tout, je savais bien de quoi on allait parler.

Je quittai le service, un peu sur les nerfs. Il fallait passer par l'extérieur pour arriver dans les bureaux des grands chefs et les différentes salles de réunion. La 4, la plus reculée, était aussi la plus petite, gardée pour les conseils restreints. J'entrai sans m'annoncer. Plusieurs de mes chefs s'y trouvaient déjà, un gobelet de café à la main, comme un lundi ordinaire pour ceux qui n'avaient pas vu un patient de près depuis bien trop longtemps.



Une dizaine de paires d'yeux étaient braqués sur moi. Je ne me sentais pas plus angoissés qu'à la normale. Je ne pus m'empêcher de repenser à la situation, quasiment identique à l'époque du lycée. Tous ces professeurs, ces personnels enseignants dont la décision était déjà prise avant même que ne commence le conseil.

C'était aujourd'hui la même chose. J'étais un personnel comme un autre, pas plus extraordinaire, pas irremplaçable. Il y a un règlement et si tu y déroges, tu sors. Point. Pas d'exception. Ne me l'avait-on martelé à l'école puis en stage ? Pas le temps pour les sentiments, pour l'affectif. Si tu t'y laisses aller, tu t'y perds. Pas le temps d'être humain ; pas le temps pour les faiblesses.

"M. Oliveira, le conseil a été réuni car nous il a été rapporté le fait suivant ; vous entretiendriez une relation avec l'un de vos patients, en la personne de M. Aarab Brahim, admis ici il y a deux mois. Suite à la convocation avec votre supérieure hiérarchique, vous avez niez les faits qu'une telle relation entre vous existait, tout en admettant cependant, des sentiments envers le dit-patient. Tout cela est-il exact ?"

Je le fixai, droit dans les yeux, droit sur ma chaise. Ils me faisaient tous face ; j'étais l'accusé, le coupable, celui à descendre. J'inspirai profondément.

"Tout cela est juste.

_ Pouvez-vous nous détailler votre travail avec patient jusqu'ici ?

_ Mon travail ? Comme avec tous les autres. Le patient a été admis dans le service pour subir une rééducation pour les deux jambes suite à un accident de voiture qui lui en a ôté l'usage de façon partielle. J'ai été le premier et seul à m'occuper du dossier. J'ai rencontré un patient hostile à tout le personnel médical, parfaitement fermé face à l'idée qu'on le touche.

_ Vous avez pourtant réussi. Je vois ici..."

Il tenait devant lui, remontant ses lunettes sur l'arrête de son nez, la feuille de sortie où je pouvais reconnaître ma signature par transparence.

"Que le patient sort à la fin de la semaine. Marche-t-il ?

_ Il marche, reconnus-je. Pas parfaitement, mais c'est seulement une question de temps.

Blouse blanche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant