Chapitre 27

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Je me laissai tomber sur l'imposant canapé de cuir noir, entouré de piles de cartons savamment scotchés et identifiés. Il posa une bière dans ma main qui devint humide. J'avais quitté le travail pour rejoindre directement l'appartement Ézéchiel dans un quartier chic et tranquille.

"Tu dois partir quand exactement ?

_ A la base, le vingt-cinq avril car mon poste n'est disponible que le trente. Mais l'appartement qui m'est alloué est déjà disponible.

_ Et ton boulot ici ?

_ Ils savent que j'ai accepté le poste. Il me reste encore normalement deux semaines.

_ Et... Elle ? Je ne sais même pas comment elle s'appelle, m'excusai-je.

_ Camille. On ne s'est pas... Parlé. J'ai l'impression qu'elle me fuit."

Il but une longue gorgée de sa propre bière en fermant les yeux, se laissant choir à l'autre bout du divan. Je jetai un regard circulaire à la pièce. Je n'étais venu que peu de fois et je le regrettai. Ses bibliothèques au fond de la pièce avaient été vidées, la cuisine que j'apercevais au-dessus du bar était vidée de son électroménager. Des cartons de vaisselles trônaient sur les comptoirs.

"Tu ne veux toujours rien dire ?

_ Je passe mon temps à y penser tu sais.

_ Non je ne sais pas, je ne m'imagine pas. Mais je me doute.

_ Je n'ai jamais rêvé d'enfants, je n'ai jamais pensé y accorder tant d'importance un jour mais... C'est là. C'est une partie de moi qui grandit en elle. Je commence à me dire que je ne peux pas juste tourner le dos en sachant la vérité.

_ Je ne vais pas te ressortir les grands discours, tu sais ce que j'en pense. Et que je ferais tout pour t'aider si tu en as besoin."

Je bus à mon tour pour l'accompagner avant de pousser un long soupire. J'étendis mes jambes sur la méridienne. Les pots de plante étaient enveloppés de papier bulle. Organisé le frangin.

"C'est un tel chaos dans ma vie Dieg'.

_ Bienvenu chez les gens qui ont une vie de merde."

Il eut un petit sourire mesquin en reposant sa bouteille vide. Sa main claqua sa cuisse avant qu'il ne se tourne vers moi.

"Allez p'tit frère, raconte-moi tes malheurs. Chacun son quart d'heure de désespoir.

_ Y a rien.

_ Hé, t'as peur de quoi ? J'vais pas te juger."

Je fis rouler ma tête sur le bord du canapé en faisant craquer ma nuque.

"C'est juste que je fais n'importe quoi Ezé. Je pensais m'être enfin débarrassé d'une relation toxique qui n'aboutissait à rien. Et puis y a ce nouveau patient qui arrive, qui m'avoue que je lui plais et... Il me plaît aussi.

_ Brahim c'est ça ?

_ Ouais. Brahim.

_ Et c'est quoi le problème ?

_ L'putain de problème c'est que toute relation avec un patient est strictement interdite. Je risque une mise à pied. Alors je sais qu'il sortira un jour et qu'on fera bien ce qu'on veut mais en attendant, j'ai tellement de mal à résister après tant d'années à me cacher j'ai l'impression que je ne peux plus. Je deviens fou. Et lui n'a plus rien, plus personne. Alors il sortira pour aller où ?"

Il se redressa en croisant ses mains sous son menton, penché vers moi qui m'enfonçais un peu plus dans le canapé.

"Il y a des associations, des groupes d'entraides, des fonds d'aide à la jeunesse en précarité sociale. Je suis sûr que tu trouveras une solution.

_ Ah ouais ? Moi pas. Je voudrais juste tout envoyer chier, quitter l'hôpital et ses horaires de merde, son ambiance de merde. Arrêter de me cacher pour éviter de faire parler des gens dont je me fous pourtant de l'opinion. Ouais, tout envoyer chier.

_ Comme avec les parents ?"

L'écran de mon téléphone s'alluma posé à côté de ma cuisse entre deux coussins. Je le déverrouillai sans répondre à mon frère d'abord. La boule reprit place au fond de mon estomac chaude et tendre. Il était un peu moins de dix-neuf heures, il me disait avoir fini de manger et qu'il avait tout bien mangé. Ça me rendait heureux et certainement débile, je répondis être chez mon frère.

"Maman m'a appelé, reprit-il.

_ Moi pas de nouvelles. Tu sais ce qu'on dit : "pas de nouvelle bonne nouvelle" !

_ Elle ne me croit pas, soupira-t-il. Elle refuse l'idée que je parte. Je crois que c'est à cause de ça que j'ai fini mes cartons aussi vite. Elle arriverait presque à me faire douter."

Je secouai vivement la tête en me redressant du canapé dans lequel je dégoulinais. Je finis ma bière d'une longue gorgée, la bouche pleine je lui fis signe de négation avec mon index.

"Ne la laisse pas faire ! C'est ce que j'ai voulu lui dire dimanche. Je m'y suis peut-être mal pris, j'avoue, mais c'est ce qu'elle a toujours fait ! Dans toute sa nature de passive-agressive, elle a refoulé ce que nous étions pour nous faire selon son propre désir. T'es un grand garçon Ézéchiel. Fais tes choix, vis ta vie."

Il me lorgna, l'air le plus abattu que je ne lui avais jamais vu. Une tête de psy face à son pire patient et peut-être l'étais-je.

"T'en as d'autres des mantras à la con comme ça ?

_ Laissez-moi tranquille avec mes phrases de merde, chouinais-je."

Il sourit en coin, l'air pétillant.

"Tu me le présenteras ?

_ Qui ? Marmonnai-je.

_ Ce garçon. Brahim, avant que je ne parte.

_ Promis.

_ Et tu tiendras ta promesse ?

_ Suis du genre à ne pas tenir mes promesses ?"

Au sourcil qu'il leva en ma direction, il n'eut pas besoin de répondre. Je me renfrognai.

"Et tu vas faire quoi là-bas ?"

Comme dans tout, Ezéchiel avait été brillant dans ses études, soutenant une thèse qui avait reçu les félicitations de tous ses jurys et professeurs, tuteurs et de tous ceux qui avaient travaillé avec lui. En l'espace de deux ans, il avait écrit un pavé de près de cinq cent pages sur quelque chose qui parlait de l'impact du changement de religion sur la psychologie de la population dans la Rome antique. Voilà ce que j'en avais retenu. On lui offrait aujourd'hui la possibilité de continuer le travail amorcé dans ses recherches avec d'autres groupes de travail, d'autres ressources, dans un milieu différent. Tout ce qu'il avait toujours voulu, le nez dans ses bouquins au milieu de vieux barbus à lunettes, eux aussi le nez dans des bouquins.

L'aube d'une nouvelle ère.  

Blouse blanche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant