Je n'appréhendais pas de le voir, mais je cherchais mes mots avant d'atteindre sa porte. J'avais pris avec moi de quoi masser ses jambes aujourd'hui, pour lui changer les idées et lui montrer que le travail pouvait être différent. Les patients aimaient que je les masse. Un moment presque pour eux dans cet univers si particulier qu'était l'hôpital. Je toquais à la porte, comme la veille, entrai sans attendre.
Etendu sur le lit, la télécommande de la petite télé posée sur son ventre. Il portait le même jogging que la veille mais avait enfilé un tee-shirt, tout aussi large que son pull. A côté du lit, sur la tablette à roulette, un plateau repas posé dessus, vide. Je lui souris, sincèrement soulagé.
"Bien.
_ Y a pas d'viande au p'tit déj."
Je haussai les épaules devant son éternel air bougon, ses bras croisés sur son torse plat. Je détaillai le pot de yaourt vide, les miettes de brioche, la cuillère en plastique et le gobelet vide.
"Café ?
_ Thé.
_ Beurre ?
_ Confiture."
Je souris un peu plus, il me répondait du bout des lèvres, sans esquisser le moindre sourire. Mais au moins, il répondait.
"Yaourt sucré ?
_ Nature.
_ Confiture de fraise ?
_ Cerise."
J'acquiesçai, d'accord. Je lui montrai ma mallette dans ma main, la posai sur la console contre le mur.
"Je vais masser vos jambes pour commencer.
_ Tu me tutoyais la dernière fois.
_ C'est vrai... Je pensais que ça te gênait."
Il réfléchit un instant pendant que je déballai mes produits.
"Non. Je préfère."
Je posai deux bouteilles à côté de ses jambes inertes.
"Et si je ne veux pas que tu me touches ?
_ Tu as le droit. Mais pourquoi pas ?
_ On ne se connaît pas. J'espérais un dîner au resto au moins avant."
Je mordis ma langue, grinçant des dents. Je frottai mon visage dans mes mains, avant de me pencher vers lui par-dessus le garde-corps du lit médicalisé.
"Si j'utilise mes relations, je peux t'avoir un croissant d'main matin."
Un tressaillement à la commissure de sa bouche, qu'il ravala en mordant sa lèvre. J'allai laver mes mains dans la salle de bains, me servit de la petite tablette pour y poser mes deux bouteilles ouvertes.
"Il faut que tu retires ton jogging.
_ Non."
Je fronçai le nez en me renfrognant.
"Je ne peux pas masser ton pantalon.
_ Tu ne me masseras pas sans en tous cas."
Son ton était sans appel. Le pantalon était large, je pouvais le lui remonter au moins jusqu'aux genoux.
"Les mollets ? Ça va, les mollets ?
_ Je ne me déshabillerai pas, grinça-t-il.
_ Pas besoin, je vais remonter ton jogging jusqu'à tes genoux."
Il ne trouva rien à objecter durant la longue minute où il scruta mon visage que je gardai le plus sérieux possible.
"Tu as des questions ?"
J'enduisis mes mains d'une huile que je passai sur et entre mes doigts après avoir découvert le bas de ses jambes.
"Rouge ?"
Je relevai les yeux vers lui en posant mes paumes sur sa peau.
"Bleu, hasardais-je.
_ Soir ?
_ Matin.
_ Jour ?
_ Nuit."
Je pressai chacune de ses jambes, passant mes doigts sur chaque muscle, cherchant à les stimuler, les détendre. Je le sentis crispé, tendu et ça me fit de la peine. Je n'avais jamais eu de patients aussi réfractaires à un massage.
"Champagne ?
_ Bière.
_ Chien ?
_ Chat."
Ca semblait le détendre un peu, le temps de réfléchir à ses questions, il ne pensait pas à mes mains. Je m'essuyai sur une serviette en papier, revint à lui. Je posai mes mains sur ses genoux.
"Qu'est-ce que tu fais ?!
_ Je vais faire travailler tes jambes, leur faire faire des mouvement connus."
Devant son regard légèrement affolé, j'ajoutai :
_ Je ne te déshabille pas."
Il ne me semblait pas plus à l'aise pour autant.
"C'est nécessaire ?
_ Ca fait partie du processus oui. Mais on peut attendre..."
Il soupira, la tête enfoncée dans ses épaules, il regardait le bas de ses jambes, brillantes d'huile mentholée.
"Non... Non, non, non. C'est con.
_ Quoi ? Non, Brahim, si tu ne veux pas que je te touche, c'est ok. Je n'veux pas...
_ C'est bon j'te dis."
J'essuyai mes mains encore un fois, sentant mes doigts encore poisseux. Je posai mes mains sur sa cuisse, l'autre sous son pied. Je pliai la jambe, ramenant son genou vers son abdomen. Ses mains s'agrippèrent aux draps, ses ongles griffant le tissu en un bruit désagréable.
"Pense à autre chose."
Un soupire de sa part, il ferma les yeux.
"Hiver ?
_ Printemps."
Je prenais plus de temps à répondre, calculant chacun de mes gestes, prenant le temps d'effectuer chaque pression, faire marcher chaque muscle, chaque articulation.
"Thé ? Continua-t-il.
_ Café."
J'avais fait le tour, passant à sa jambe gauche. Le mouvement était plus souple de ce côté-là. Son souffle devenait plus laborieux.
"Pomme ?
_ Banane."
Je mordis ma langue en le sentant tressaillir. J'appuyai sur son bassin pour l'empêcher de bouger. Il tenta de me repousser. Je ne luttai pas, me reculai.
Je reposai sa jambe sur le matelas, remis son vêtement correctement.
"Tu peux me faire confiance, Brahim. Ensemble, on peut travailler et te remettre en état. Ne me repousse pas."
Il ne dit rien, je rangeai mes affaires dans mon sac.
"Repose-toi, finis tes plateaux repas. On se voit demain."
Je remis la tablette en place, emmenai le plateau repas avec moi. J'ouvris la porte.
"Diego ?"
Je me retournai mais il ne me regardait pas.
"C'pas toi que je repousse."

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Blouse blanche [BxB]
Aktuelle LiteraturPour Diego, il va être difficile de rester professionnel face à Brahim, son nouveau patient récalcitrant. Mais entre conscience professionnelle et amour, Diego devra faire un choix. Contenu mature.