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Marley

Dimanche

Je me lève, pas du tout motivée. Aujourd'hui est un jour, que je redoute depuis le début de l'été, j'intègre le "centre" et j'aime autant vous dire que je préférais fuir que d'aller dans ce truc de tarés. Mais est-ce que j'ai le choix? Pas vraiment malheureusement.

« On a toujours le choix » me direz-vous, si seulement c'était vrai. Croyez-moi que si cette phrase était vraie, je serais bien loin d'ici. Peut-être dans une ville telle que Tokyo ou New York, ou je pourrais aisément me perdre dans la foule.

Mais la vie n'est pas aussi simple, à mon grand malheur. Je me rallonge sur mon lit, les mains croisées sur le ventre. Je suis prête depuis une grosse heure, j'attends. J'attends que ma tante vienne me chercher même si au fond de moi, j'aimerais qu'elle ne traverse jamais la porte de ma chambre. J'aimerais qu'elle reste devant sa tasse de café pour...Les dix prochaines années ? Oui ça me paraît correct, je pourrais fuir comme ça.

Tu sais très bien que ça n'arrivera jamais, lance ma conscience.

C'est toujours beau de rêver non?

Pour occuper mon esprit, j'observe ma chambre, sûrement pour la dernière fois avant un très très long moment. De nombreuses photos sont accrochées au mur, de nombreux dessins aussi, quelques peintures sont posées sur mon bureau. Malgré tous ses artifices, il n'y a aucune joie qui se dégage de cette pièce. Peut-être parce que je ne me suis jamais sentie pleinement heureuse ici? Possible.

Je souffle un grand coup avant de me redresser. Je regarde ma montre pour la cinquième fois et me rends compte que ma tante ne va pas tarder à arriver. Je n'ai vraiment pas envie. Certains de mes tiques nerveux reviennent, je frotte à plusieurs reprises mes mains sur mon jean. Oui, je suis nerveuse, une anxiété s'empare de mon corps. Je n'ai plus envie de bouger, mais quand j'entends les pas de ma tante arriver près de ma porte, je sais que je n'ai plus d'échappatoire.

Alors dans un élan de courage, je me lève, récupère ma valise. La porte s'ouvre et le visage doux de ma tante apparaît. Elle me fait un sourire qui se veut certainement réconfortant et encourageant, mais je ne le perçois pas ainsi. Je la suis en traînant des pieds jusqu'à la sortie de son appartement. Je ne lui adresse pas un mot et rentre dans sa voiture, mes écouteurs qui diffusent déjà de la musique. Elle s'installe au volant, me regarde et démarre.

Je regarde une dernière fois ce qui, au fil du temps, et devenu ma maison, un brin nostalgique. Je ne reviendrais plus jamais ici, c'est certain.

[...]

J'ai du Joy Division dans les oreilles. Je me calme au son de la voix de Ian Curtis. Je regarde les paysages défiler à travers la fenêtre. Et je me surprends à me demander encore une fois ce que je fous dans cette putain de voiture. Et surtout pourquoi ma tante m'abandonne dans ce "centre" sans aucun scrupule. Pourquoi elle ne me garde pas avec elle, pourquoi on ne s'en va pas ?

-Marley ! Crie-t-elle en interrompant mes pensées.

-Quoi ?? Je lâche en lui lançant un regard noir.

-Ne sois pas fâchée ma puce. Nous savons toutes deux que ce séjour dans le centre va te faire le plus grand bien, dit-elle doucement.

-C'est vrai que m'abandonner dans ce que tu appelles un centre va m'aider, je rétorque en grommelant.

-Marley ça suffit. On a eu cette conversation des dizaines de fois déjà. Je ne peux plus m'occuper de toi comme j'aimerais le faire. Tes crises d'angoisse à répétition, mes problèmes d'argents... C'est trop pour moi. Ne pense pas que je ne t'aime pas ma belle, je veux juste ton bien.

Je lève les yeux au ciel après son mini discours. Mon bien ? Parce qu'elle pense sincèrement que je vais être bien dans ce centre « spécialisé ».

C'est comme ça qu'il l'appelle, centre spécialisé d'île de France, une connerie, c'est juste un centre qui regroupe les gens comme moi, les gens malades. Les rejetés de la société.

-Ouais, je réponds sèchement.

-Marley...Promets-moi de bien te comporter d'accord?

-Oui tante Gina.

Elle n'a même pas calculé mon ton ironique ni mon faux sourire, sûrement à cause de la fatigue.

-Nous sommes arrivées, elle dit doucement.

Je sors de la voiture, et j'aperçois cette grande bâtisse digne d'un palace. Quel cadeau empoisonné ce centre ! Gina m'aide avec ma valise et nous arrivons à l'accueil. J'aimerais tant courir et me sauver, mais le bras de Gina accroché fermement au mien m'en dissuade.

La secrétaire nous reçoit avec un grand sourire. Une vraie nunuche.

-Bonjour mesdames. Bienvenue au CSIDF. Vous êtes mademoiselle Becker ? Demande-t-elle de sa voix insupportable.

-Oui, c'est elle, répond ma tante.

-Excellent, on vous attendait ! Ma collègue, va vous donner tout ce dont vous avez besoin pour cette année : livres scolaires, cahiers, stylos, votre emploi du temps et votre numéro de chambre.

-Merci beaucoup Madame, dit ma tante.

On se dirige dans un petit bureau où l'on rencontre Rachel, la fameuse collègue de l'autre pimbêche.

-Bonjour Marley, bienvenue au CSIDF. J'ai bien pris en compte tes préférences au niveau scolaire, donc voilà ton emploi du temps. Pour tes affaires, tout est déjà mis dans ta chambre. Je ne t'ai pas mis de ciseaux, j'espère que tu peux comprendre. Mesure de sécurité, explique-t-elle gentiment avec une pointe d'amusement. Prête pour la visite?

-Oui, je réponds timidement.

Je regarde Gina qui me fait signe du regard qu'elle doit s'en aller. Je la prends dans mes bras une dernière fois, je lui dis que je l'aime et que je l'appellerai quand je serai bien installée et que j'aurai pris mes marques.

Son regard est rempli de tristesse. Tout aurait été différent si elle m'avait gardé avec elle. J'éprouve un certain énervement de la voir si triste alors que c'est son choix, pas le mien.

Elle sort de l'établissement avec quelques larmes sur les joues. Je la regarde s'éloigner, puis Rachel m'interrompt dans mes pensées.

-On y va? Demande-t-elle.

-Oui.

Et je m'engouffre dans cette fosse aux loups sans lâcher aucun mot.

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant