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Graam

Soirée et nuit de Samedi à Dimanche

Comme on me l'a demandé, je passe chercher Chris à sa chambre. Lui aussi n'a pas fait un gros effort vestimentaire, mais il a au moins enfilé une chemise, ce que je n'ai pas pris la peine de faire. On descend au self, et je me dirige immédiatement vers la fameuse salle, Chris sur mes pas. C'est l'heure du tatouage, ce que les nouveaux redoutent tous, mais auquel ils ne peuvent échapper, et moi, j'adore leur foutre les jetons.

Mon sang bouillonne d'impatience, je n'ai qu'une idée en tête, voir Lily passer la porte. Je me demande comment elle sera habillée, si elle aura toujours ce regard innocent...

Depuis lundi, elle passe ses journées avec le groupe de Ruby -groupe que je déteste-, et je ne peux pas l'approcher à moins de deux mètres sans que le brun qui l'accompagne ne l'emmène plus loin. Je crois qu'il s'appelle Rio, mais peu importe. Si je veux Lily, je l'aurai, qu'il soit là, ou non.

Après ce qui me semble des heures et quelques tatouages, elle arrive enfin, resplendissante. Une robe bordeaux en satin enveloppe ses formes, un léger décolleté laisse entrevoir sa menue poitrine, des manches longues recouvrent ses bras, elle n'a jamais de manches courtes, et je compte bien savoir pourquoi. Sa bouche est soulignée d'un rouge à lèvre un peu foncé qui met en valeur sa peau claire et fait ressortir ses yeux bleus.

Ma bouche s'assèche, mes pupilles se liquéfient, et je focalise mon attention sur le poignet de Marley pour éviter de déglutir des conneries. Le seul souci est que la Princesse n'est pas seule, derrière elle, Rio, bien sapé, tout beau et propre sur lui, qui la regarde avec des yeux doux comme le velours. Je meurs d'envie de lui coller un pain, mais je me reprends : ce n'est pas la solution. N'empêche, ça me ferait un bien fou.

Lorsque enfin je suis plus calme, c'est au tour de Rio de passer sous l'aiguille, et j'ai une folle envie de lui entailler la peau à vif pour avoir tenu ma Princesse dans ses bras. J'ai dit ma? Je voulais dire la.

Je commence à dessiner le cygne sur sa peau, et il ne cille même pas. En même temps, ils ont descendu une bouteille à deux, il ne doit même pas sentir l'aiguille aller et venir dans sa chair. Je m'empresse de finir pour qu'enfin Lily prenne sa place. Je m'étouffe de rage lorsqu'ils enlacent leurs doigts, mais je concentre mon attention sur son petit bras à la peau de nacre.

Je relève sa manche d'un mouvement vif, et, d'un geste rapide comme l'éclair, elle plie son bras et remonte sa manche. Elle fait un rempli et s'assure que je ne vois que la parcelle de peau à tatouer. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que Rio et moi avons eu le temps de voir nettement les arabesques blanches sur sa peau. Des cicatrices verticales à ses veines sont déjà vieilles, d'autres, bien plus imposantes et encore rouges, sont horizontales.

De part et d'autre de ces récentes marques se trouvent des petits points, signe qu'elle a été repêchée avant l'instant final et recousue dans l'espoir qu'elle ne recommencera pas. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que souvent, le seul moyen de se sentir vivant, c'est de frôler la mort, c'est d'avoir mal à en crever.

J'en ai désormais la certitude : derrière ce regard vivant se cache une sombre histoire que ma curiosité m'ordonne de découvrir. Ma princesse est suffisamment brisée pour avoir essayé de mettre fin à ses jours. J'ai dit ma. Oh et puis tant pis.

Je réalise en posant délicatement mes doigts sur son frêle poignet qu'elle et moi ne sommes pas si antithétiques que ça. Au fond, elle, pour se sentir vivante, elle s'infligeait des coupures, moi, pour me sentir vivant, je me battais dans les rues avec des couteaux dans l'espoir qu'à chaque nouvelle raclée je reprenne goût à la vie.

Aujourd'hui, j'ai la sensation que même en étant dans la même pièce qu'elle, mon sang tambourine enfin dans mes artères. Il y a quelque chose de poétique dans tout ça, au final, je pensais que la violence me rendrait heureux, mais ce qui m'inspire du bonheur à ce jour, c'est simplement la vue du plus frêle humain sur cette terre. Je secoue la tête : qu'est-ce que je peux déblatérer comme conneries parfois!

J'entame le cygne, et prends tout mon temps, j'aime sentir son pouls battre la chamade sous mes doigts, sa peau si fine que j'en distingue chaque veine m'appelle et j'ai envie de tracer du doigt chacune de ses cicatrices pour qu'elle comprenne que je préférerais mourir que la voir souffrir. Putain mais ferme là ! Je secoue à nouveau la tête, ça suffit les conneries.

Ils finissent par sortir de la pièce, et elle n'a d'yeux que pour ce type. J'ai presque envie de me faire passer pour lui pour ressentir ce qu'il doit ressentir quand elle fait glisser ses yeux innocents sur lui. Je sors moi aussi de la salle et les vois se diriger vers l'extérieur, je serre les mâchoires. Si je lui casse la gueule, elle me détestera.

Christopher s'approche de moi, et me tend un verre que je bois d'une traite. La chaleur de l'alcool me réconforte un peu, mais je n'arrive pas à quitter cette putain de porte des yeux, espérant la voir apparaître à tout moment.

-C'est quoi cette obsession que tu as avec Lily? Demande-t-il.

-Une obsession? Mec, la seule chose que je veux, c'est la baiser, mais pour ça, il faut jouer le jeu, je réponds nonchalamment.

Je crois que je me voile un peu la face, ce n'est pas ma seule motivation. En fait, je crois que si je devais faire une liste des choses qui me pousse vers elle, ça ne figurerait même pas sur la liste, ou alors tout en bas, en très très très petit. Parce que, évidemment que j'aimerais la baiser, tout chez elle me fait saliver, mais ce n'est pas ma principale motivation. Je ne peux juste pas l'admettre devant lui, je serais décrédibilisé, et j'ai une réputation à tenir.

Lorsque enfin elle repasse la porte, un sourire angélique est gravé sur ses lèvres pulpeuses et je voudrais aller y goûter. Je voudrais que ce soit moi qui cause cette joie en elle, mais c'est Rio qui a ce plaisir, et ça attise ma haine. Pour le reste de la soirée, je veille sur elle, m'assurant qu'aucun lourdaud ne vienne la toucher pendant qu'elle danse, faisant attention à ce qu'elle ne tombe pas dans les pommes, ou que Rio ne la brusque pas.

J'ai une sainte horreur de ce qui m'arrive, mais je sais que c'est là, que ça menace de s'écrouler sur ma gueule et de me rendre niais comme un crétin le jour de la saint Valentin. Mais putain, pour rien au monde, je m'empêcherais de poser mes yeux sur elle, même si pour cela, je devais aller brûler en enfer. Sa joie de vivre est contagieuse et je me surprends à sourire comme un putain d'imbécile en la regardant.

Je la désire, je la veux pour moi seul, et ça me démange, ça me bouffe, me grignote, il faut que j'assouvisse cette pulsion qui me rend bête comme un manche.

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant