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Aïcha

Jeudi

-Voici votre questionnaire pour la participation au cours suivant, vous devrez simplement répondre aux questions au fur et à mesure de vos remarques sur les différents discours. Evidemment, vous n'êtes pas obligé de répondre à tout. Le but de cette fiche est d'évaluer votre niveau actuel. Nous voulons simplement savoir si vous avez évolué depuis votre arrivée il y a 3 ans. Voilà ! Maintenant filez en salle 210 mademoiselle et soyez attentive!

Je gratifie Madame Esterlitz d'un sourire et m'en vais en 210. Je ne suis pas totalement sereine à l'idée de me retrouver face à une dizaine de drogués, mais je suis plus ou moins curieuse d'écouter ce qu'ils ont à dire. Je veux vraiment comprendre comment on peut en arriver à mettre sa vie en danger. Pourquoi sombrer dans une vie pareille?

En arrivant devant la porte, une boule au ventre réapparaît dans mon estomac. Le stress. Ce sentiment fait parti de mon quotidien à présent. Je toque à la porte et entre dans la salle. Personne n'est encore arrivé exceptée Mme Augiet. Lorsqu'elle me voit entrer, elle m'adresse un grand sourire et m'indique de m'asseoir.

Au bout de quelques minutes, les places autour de la table ronde se remplissent, et mon stress s'amplifie, j'ai envie de vomir rien qu'en voyant leurs regards interrogateurs se poser sur moi. Madame Augiet leur explique deux trois trucs avant de passer aux confessions individuelles.

C'est un certain Tom qui commence à parler. Il est assis juste à ma gauche. Je remarque qu'il envoie plusieurs clins d'œil suivi de sourires malsains à une des filles en face de nous. Cette dernière finit par bondir de sa chaise en hurlant un vulgaire : « Va te faire enculer putain ! » Puis elle sort de la salle en claquant la porte. Madame Augiet ne réagit pas, ou du moins plus, elle semble avoir l'habitude de ces comportements. J'entends alors Tom émettre un petit rire de pur connard, satisfait de sa énième provocation de la journée.

Ce type est vraiment lourd. Je me rappelle la fois où il s'est fait tabasser par Edward, car il me harcelait sans cesse lors de mon arrivée au centre. Je ne sais pas réellement ce qu'il me voulait à part faire chier son monde. Et puis un jour au self, ça a été la fois de trop. Il ne voulait pas me lâcher jusqu'à devenir très tactile au niveau de ma poitrine. Et là, Edward est arrivé tel un héros. Il l'a plaqué contre la table et c'était fini pour Tom, jusqu'à ce qu'un surveillant intervienne pour les séparer.

Mes pensées s'interrompent en entendant une grosse voix. Celle d'un nouveau déjà surnommé "le grand black" comme je l'ai entendu hier au self. C'est donc à son tour de parler de son parcours personnel. Il commence à se présenter puis en une fraction de seconde son visage passe à la colère ou plutôt à la haine. Une expression qui en dit long sur son vécu. Et je pense que c'est pour cela qu'il n'arrive pas à continuer son discours. Il est perturbé et se perd dans ses mots, il se met à bégayer tout en serrant ses poings.

Il me fait peur, j'ai l'impression qu'il va exploser d'un moment à l'autre. Et puis, comme tout le monde s'y attendait, il se met à hurler avec une telle rage qu'il se saisit de sa chaise et l'envoie valser contre un mur. On dirait un ours brun pas content du tout. Il se précipite ensuite vers la porte pour sortir en tombant sur quelqu'un qui voulait entrer. Il pousse la personne, qui perd aussitôt son équilibre et se rattrape sur le mur d'à côté. L'ours Brun s'enfuit en tapant dans le couloir, on ne le voit pas agir, mais les bruits fracassants suffisent amplement pour deviner l'état des pauvres murs.

Madame Augiet se précipite vers la porte pour rassurer la "personne" se trouvant à présent dans le couloir. J'essaie d'écouter le prénom qu'elle prononce, mais je n'entends rien. J'arrive pas à voir son visage à cause de la grosse poutre qu'il y a devant l'entrée, j'essaie de me décaler pour avoir une vue meilleure en faisant tomber mon stylo. Je me penche pour le ramasser et quand je me redresse, je suis étonnée de découvrir l'identité de la personne en question. Christopher.

Il a l'air un peu perdu. Il lève son regard vers la table pour trouver une place et nos regards se croisent, mais il détourne rapidement le sien et cherche une place libre. Pour couronner le tout, la seule est à côté de moi ! Je ne le quitte pas du regard. Il agit comme si on ne s'était jamais vu. Il a peut-être mal dormi cette nuit pour tirer une tête d'enterrement à ce point. J'aimerais bien voir à quoi, il ressemblerait s'il souriait, mais son visage reste tout le temps bloqué sur une expression froide. Ou peut être triste ?

Je suis toujours en train d'écrire lorsqu'un tremblement de table me stoppe dans l'écriture de mon mot. Je tourne ma tête légèrement vers la cause de cette secousse. Il s'agit bien de lui. Il tremble de la jambe, signe qu'il est anxieux. Il fixe le mur d'en face et je vois ses yeux devenir encore plus noirs qu'ils ne l'étaient déjà. Sa mâchoire se serre. Son attitude ne fait qu'augmenter mon stress.

Je ne sais pas quoi faire pour lui dire d'arrêter puisque je n'arriverais pas à parler, mais ça me fait un peu de peine de le voir dans cet état-là. Il faut que je fasse quelque chose. Alors sans réfléchir, je décide de poser délicatement ma main hésitante sur sa cuisse, mon cœur battant la chamade. Pourquoi je fais ça? J'ai peur de sa réaction, mais il faut croire que mon instinct en a décidé autrement aujourd'hui.

Son regard vient se planter dans le mien, comme un couteau dans du beurre. Oui, je fonds sous son regard imposant. Il est effrayant, mais si intriguant en même temps. Oui, c'est le bon mot. Ses yeux renferment, un je ne sais quoi qui me confronte à une multitude de questions sur sa personne. Pourquoi se retrouve-t-il cloîtré dans ce centre ? Pourquoi avoir choisi la drogue dans sa vie ? Mes questions se stoppent lorsque sa main retire brutalement la mienne de sa cuisse.

Je me rends compte que je suis restée complètement bloquée dans sa sphère si envoûtante. Je rougis de honte. Au lieu de lui faire un signe de la tête pour le rassurer, j'ai tellement été déstabilisé par ses yeux que mon élan s'est figé, comme une statue. La honte. Il m'a rejeté comme un vieux papier brouillon. Que va-t-il penser de moi ? Que je suis folle ? Bravo Aïcha. Ce n'est pas comme ça que tu vas progresser !

-Christopher, c'est à vous. N'ayez pas peur du regard des autres, eux aussi ont probablement traversé la même chose que vous. Lancez-vous dès que vous vous sentez prêt ! Lui dit Madame Augiet.

-Non, répond-t-il d'une voix grave.

-Vous êtes obligé, c'est la procédure. Aller, faites un petit effort, lance Madame Augiet d'un ton qui se veut encourageant.

-J'ai dit non, c'est clair ? Je passe mon tour.

Madame Augiet lève ses sourcils en l'air par agacement. Puis elle tente encore une dernière chose.

-Très bien. Si vous n'obéissez pas, je serai obligée d'appeler votre père afin qu'il...Elle n'a pas le temps de finir sa phrase qu'il rétorque aussitôt.

-Non ! non...C'est bon je...Hum. Je me lance.

Son comportement a rapidement changé à partir du moment ou elle a mentionné son père.  Bizarre... Je n'ose toujours pas le regarder lorsqu'il commence à parler.

-Ok. Euh...Bah je m'appelle Christopher mais Chris fera l'affaire. J'ai 19 ans et j'ai commencé la drogue quand j'avais 15 ans. Au début, c'était des joints entre potes et petit à petit, dans les soirées et tout ça.. LSD, extasie et compagnies se sont tapés l'incruste. Je ne voyais pas le mal que ça pouvait m'apporter, mais maintenant, je réalise enfin. Il n'y a pas vraiment de raison pour laquelle j'ai touché à la drogue. J'ai tout simplement été influencé par les plus grands que moi. Voilà, satisfaite la dame ?

Après ce discours, je ne peux m'empêcher de penser à quel point, il est un bon menteur. Sans même l'avoir analysé lorsqu'il parlait, je savais à quel moment il mentait ou non. Et en l'occurrence, il les a dupés tout au long de son discours. Mais moi, j'ai capté son truc. Il est possible que je me goure, mais ce genre d'intuition ne me trompe jamais en général.

Tout me semblait faux et monté de toute pièce, ce qui me rend encore plus avide de découvrir la vérité sur la raison pour laquelle il est tombé si bas. Mais encore faut-il qu'il me parle, et je pense l'avoir fait fuir avec mon mutisme...

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant