Cygnes, dans l'ombre, la lumière

28•

Isac

Dimanche

J'ouvre les yeux, je sors du trou noir. Je tente de rassembler mes souvenirs. En levant le bras pour passer la main sur mon visage, je vois un pansement, au creux de mon coude. Et soudain, tout me revient. Les images s'étalent en vrac sous mes yeux, comme si quelqu'un était en train de vider un sac de photos. Je revois mes démons, Ruby, la douche, l'infirmière. Je me souviens vaguement, tout est encore flou.

-Il y a quelqu'un ? J'appelle.

Presque aussitôt, ma soeur ouvre la porte et entre, suivie d'Edward.

-Isac ! Tu es réveillé depuis longtemps ?

- Non, sista. Je viens d'ouvrir les yeux. Je t'ai encore causé du souci, hein ?

Je dois avoir l'air piteux, parce qu'une larme roule sur la joue de Ruby. Et soudain, je la revois. Attachée à un pieu planté dans le sol, elle hurle à la mort et pleure en voyant s'approcher ses bourreaux. Elle n'a plus de force, elle est au bout du rouleau. L'un des démons retire sa cape, et la terreur se lit dans les yeux de Ruby. Elle me regarde, suppliante, et ses larmes redoublent.

Je secoue la tête pour chasser ces images. Ma soeur vient s'asseoir sur le bord de mon lit, je me redresse. Elle me prend dans ses bras, et Edward nous rejoint. Il me serre contre lui. Je suis bien entre eux. Je suis paisible.

Et tu crois qu'on va te laisser te relever, petit prince ? Tu resteras avec nous, au fond des abîmes.

-Je les entends. Ruby, ils sont encore là. Ils me parlent.

Inutile de le lui dire, Isac. Ruby ne peut rien pour toi. Elle est trop faible. Désormais, tu devras composer avec nous. Nous n'avons pas l'intention de partir. Nous aimons bien ta tête.

-Ruby, ils ne veulent pas partir. Ils veulent me hanter. Ils...

- Mais de qui tu parles, Isac ?

Ma soeur me regarde, elle n'a pas l'air de comprendre. Elle ne les entend pas. Elle ne les connaît pas. Mais elle lit la terreur dans mes yeux, sans doute.

-Isac, ils n'existent pas. C'est des conneries, c'est ton cerveau qui surchauffe. Tu ne dois pas les écouter, tu ne dois pas croire en eux. Tu les inventes, Isac. Tu n'es pas possédé, il n'y a personne qui te hante. Ecoute-moi bien : tu es tout seul dans ta tête. Je sais que tu as l'impression qu'ils sont là, qu'ils t'épient, mais tu ne dois pas leur laisser la place. Tu dois les chasser, comme la dernière fois. Allez, p'tit frère. Encore un effort. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer.

Je hoche la tête. Je sais qu'elle a raison.

Mais qu'est-ce que tu crois, petit prince ? Que tu peux nous chasser comme ça ? Nous sommes bien, ici. Ta soeur a beau dire, nous existons vraiment, et tu le sais. Isac, écoute ma voix. Obéis, sinon nous viendrons toutes les nuits. Si tu nous laisses vivre avec toi, nous ne te hanterons pas trop souvent. Nous viendrons te rendre visite parfois dans tes nuits, te rappeler notre présence. Nous te parlerons, dans la journée. Mais si tu essaies de nous chasser, nous viendrons toutes les nuits, et chaque vision sera pire que la précédente. Nous serons toujours plus nombreux, toujours plus violents. Alors fais ton choix, petit prince.

Je ne sais plus ce que je dois faire. Je suis perdu. Je me tourne vers Ruby, puis vers Edward. Il pose sa tête contre la mienne, front à front, et me parle doucement, pour que Ruby n'entende pas.

-Isac, écoute moi. Je sais qu'ils sont là. Je le sais. Tu ne dois pas leur obéir. Si tu ne le fais pas, ils finiront par se lasser. Si tu les écoutes, tu vas devenir fou. Ils veulent te faire sombrer, Iz. Tu ne dois pas les laisser faire. Ruby est là, elle t'écoute, elle te porte. Elle sera ta force, au besoin. Elle peut te soutenir, et vous réussirez à les chasser. Je suis là, moi aussi. Je te surveille, je te protège. Et puis, maintenant, il y a Marley-Rose. Tu ne peux pas la laisser en plan. Tu sais qu'il s'est passé quelque chose, hier soir. Et tu sais, comme moi, que tes terreurs viennent de là. Alors elle doit pouvoir les calmer. Ne lâche pas, Isac. Ne nous lâche pas.