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Christopher

Dimanche

Parmi le peu de choses dont je me souviens de ma mère, il y en a bien une qui me fascinait beaucoup étant gosse : son optimisme. L'art de prendre les choses à la légère et de les atténuer. Elle disait même qu'il ne fallait pas se plaindre de nos soucis quotidiens, car le pire résidait ailleurs. J'aime bien cette philosophie de vie et au final elle avait raison. Pourquoi rendre encore plus compliquées des choses qui le sont déjà? Alors j'ai décidé de prendre exemple sur elle. Oui, c'est ça, comme elle le disait souvent: "un nouveau départ s'impose". Il est temps que j'arrête mes conneries une bonne fois pour toutes. Je ne veux plus de cette vie-là, c'est fini. Et quand je décide quelque chose, en général, je vais jusqu'au bout sans regarder en arrière. Non, je ne veux plus être un déchet parmi tant d'autres. Chaque secondes sous le même toit que cet homme me rappelle de plus en plus le souvenir accablant de ma mère. Et c'est en grande partie à cause de lui et de ce qu'il lui a fait endurer que je suis devenu la personne que je suis aujourd'hui.

À vrai dire, il n'y a pas beaucoup de facteurs qui ont fait que je veuille me reprendre en main du jour au lendemain. Il n'y en a qu'un seul.

En réalité, il y a peut-être une raison pour laquelle je me dirige actuellement vers ce centre de je ne sais pas trop quoi, là. L'autre nuit, j'ai fait un drôle de rêve. Enfin, pas si drôle que ça en fait... J'ai vu ma mère. Ça faisait longtemps que je n'avais pas rêvé d'elle. Elle était là, juste devant moi, assise près d'une fenêtre. Elle pleurait sans me regarder et n'arrêtait pas de dire la même phrase: " Oh mon fils, qui es-tu devenu?" Et plus elle parlait, plus elle s'effondrait en larmes.

Quand je me suis réveillé, j'étais en sueur, troublé, brisé. Et surtout, j'avais mal. La culpabilité me rongeait à un tel point que j'ai dû sortir à 4h du matin pour aller me recueillir sur sa tombe. Depuis sa mort, je n'y étais jamais retourné. Non pas par flemme, mais plutôt parce que j'avais honte de moi. Honte de ce que j'étais devenu, honte de me présenter devant sa pierre tombale dans cet état. Honte de respirer un air si pur pour des poumons si sales. Un drogué. C'est tout ce que j'étais devenu jusqu'à présent et c'est aussi tout ce que je ne veux plus être dorénavant.

Ce soir-là, je me suis écroulé à terre et j'ai pleuré tout ce que j'avais d'enfoui en moi depuis si longtemps. Ça faisait terriblement mal putain. J'ai enlacé la pierre gravée de son nom, "Angela Daniels", tout en gardant les yeux fermés, me remémorant son parfum si doux qui me rassurait tant auparavant. Pour la première fois, je me laissais cette liberté qui m'était meurtrière, celle de me laisser porter par le vent des souvenirs. Mais cette fois-ci rien n'était tragique, tout était idyllique. Je la revoyais sourire, chanter, courir et rire aux éclats, c'était merveilleux. Elle était merveilleuse.

C'est à compter de cette fameuse nuit mouvementée que tout a changé dans ma tête. Mon redressement ne va pas être une partie facile à jouer, je m'y attends forcément : une addiction est difficile à éliminer. Sauf que moi, c'est différent, parce que j'ai une motivation : ma mère. Même si elle est morte à ce jour, je veux lui montrer que je ne suis pas un raté. Cette épreuve, je vais l'endurer pour elle et uniquement pour elle. Je ne crois pas aux esprits, mais on ne sait jamais. Si elle me voit de tout là-haut, je sais qu'elle sera fière de voir son fils se remettre sur les rails du train. C'est d'ailleurs ce qu'elle m'aurait conseillé, quoiqu'elle n'aurait même pas eu à le faire si elle était encore là aujourd'hui.

Ça y est, après deux heures de route, j'arrive enfin devant le centre. La bâtisse est plutôt luxueuse pour un centre de tarés. M'enfin ce genre de baraque ne me change pas trop d'air, la villa de mon père fait deux fois celle-ci.

J'entre dans le hall d'accueil lorsqu'une femme blonde, tirée à quatre épingles, se rapproche d'un pas assuré vers moi. Elle m'explique les démarches administratives à faire avant de commencer la visite. Je m'attendais à ce qu'elle me dirige vers ma chambre lorsqu'elle prend la parole.

-Mr. Daniels, je vous prie de bien vouloir me suivre, nous allons entrer dans le self. On attendait plus que vous pour commencer la présentation des nouveaux élèves. Laissez vos bagages au comptoir, vos affaires seront emmenées à votre chambre bien entendu!

-Votre boulot, c'est de me faire la visite, non? Je ne suis pas venu ici pour me faire des amis alors emmenez-moi vers ma chambre vous perdrez moins de temps, dis-je d'un air froid.

Je la vois se retenir de me hurler dessus : encore une névrosée. En même temps, il y a de quoi devenir fou dans un endroit pareil.

-Monsieur Daniels, avec tout le respect que je vous dois à vous et à votre père, vous n'échapperez pas à la procédure de notre programme spécialisé. Ici, votre statut ne jouera pas en votre faveur. Fils de député ou non, les règles sont les mêmes pour tous. Alors suivez-moi, ça ne durera pas longtemps. La visite des lieux vous sera faite par l'un ou l'une de nos plus anciens internes.

Elle pousse les deux portes battantes, marchant d'un air satisfait, et je me retrouve face à une cinquantaine de psychopathes, les yeux rivés vers moi. Je me place dans un groupe d'environ dix personnes qui sont des nouveaux, comme moi.

La blondasse à chignon commence à nous parler, sa voix est pire qu'angoissante. Et c'est à ce moment que je réalise la merde dans laquelle je me suis fourré. Je savais que j'allais y penser à un moment donné, c'était évident. Le manque remonte à la surface, il me faut mon rail de coke habituel, j'en ai besoin. Non! Je suis venu ici pour me désintoxiquer de ces merdes, je suis venu pour elle. Alors ce n'est pas maintenant que je vais tout lâcher.

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant