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Isac

Mercredi

Est ce que j'ai le droit d'espérer ? Est ce qu'imaginer ma vie sans les démons est une chose plausible ? Je ne sais pas. Je n'en ai même aucune idée. Mais quand je vois Marley rire aux éclats, je sens que j'aurai le droit à des instants de bonheur, comme celui-ci. Elle est trempée, et son débardeur colle à sa peau sombre. J'essaye de ne pas y faire trop attention, mais je dois avouer que ça me donne le sourire. Elle est tellement jolie, ma Marley ! Elle s'assied sur le bord de l'étang, et je réalise à quel point, j'ai besoin d'eau. Alors je retire le T-shirt qu'elle m'a forcé à enfiler, et je plonge. Je suis toujours surpris par la profondeur de cet étang. Je n'ai plus pied au bout d'un mètre à peine. C'est un trou, un véritable trou. Lorsque je sors la tête de l'eau pour reprendre ma respiration, j'ai l'impression de sortir des ténèbres où j'étais plongé. Je prends une longue inspiration, et j'ouvre les yeux. L'eau goutte devant mon visage, s'accroche dans mes cils. Marley me paraît floue. Mais je distingue son air songeur et soucieux. Je ne sais pas à quoi, elle est en train de penser, mais ça n'a pas l'air joyeux. Je m'approche d'elle en quelque brasse, rejoins la berge, me hisse hors de l'eau. Elle est sortie de sa rêverie et me regarde en riant, avec un brin de malice et de curiosité dans les yeux. Comme si elle était surprise par quelque chose, mais je n'arrive pas à déterminer quoi. Je m'approche d'elle, tout sourire, et dégoulinant. Elle pousse un petit cri, se relève, et commence à courir en piaillant. Je la rejoins en cinq foulées, pas plus. Je saisis son bras, la retourne et l'attire à moi. Elle pousse à nouveau un cri quand nos corps se touchent, et gueule :

-Putain, Isac, t'es trempé ! Tu fais vraiment chier !

Mais comme elle est à moitié morte de rire et qu'elle ne fait pas beaucoup d'effort pour se détacher, elle est moyennement crédible... Je me penche vers son oreille, et je murmure :

-Marley, si tu ne me dis pas ce qui te rend sombre, je te balance à l'eau. Toute habillée.

Son rire s'arrête, et elle me repousse. Je tiens toujours son poignet. Elle a perdu son sourire, mais moi aussi. L'heure n'est plus aux rires. Elle s'assied au sol, je la lâche et me pose à ses côtés. Elle s'allonge dans l'herbe, en silence, fixe les nuages. J'hésite à faire pareil, mais je reste finalement assis en tailleur. Marley inspire profondément, et elle commence à parler. Elle me raconte sa vie, toute sa vie, depuis ses premiers souvenirs jusqu'à son arrivée au centre. Elle me raconte son frère, sa mort. Elle me raconte son père, mort d'un cancer quand elle était encore une toute petite fille, sa mère droguée et alcoolique partie le jour de son anniversaire. Elle me raconte ses insomnies, ses peurs, ses crises de panique. Elle me raconte comment elle a cru mourir quand son frère à sauté de la fenêtre. Elle me raconte comme elle a eu peur pour moi quand elle a su. Comme elle a eu peur de me perdre moi aussi. Et puis le flot s'interrompt. Les larmes coulent de ses yeux, discrètes. Elle n'a plus de mots pour raconter. Elle n'a plus envie, ou plus rien à dire. Qu'importe, elle a dit ce qu'elle avait à dire. Sa tête roule, son regard se fixe dans le mien. Elle fait un pâle sourire, mais le coeur n'y est pas. Je m'en veux de l'avoir fait parler. Mais je sais que ça lui fera du bien, tôt ou tard. Que ça la vide, la décharge d'un poids. Mes lèvres dessinent le mot merci. Je n'ose pas parler, parce que le silence est précieux.

Soudain, Marley s'assied, et me pousse en arrière. Surpris, je n'ai pas le temps de me rattraper, et je tombe en arrière dans la pente. Je me laisse rouler jusqu'à l'étang, et je tombe lourdement dans l'eau. Je me laisse tomber au fond, allant jusqu'au bout de mon air. Et puis je frappe le sol pour remonter à la surface. Derrière moi, j'entends le bruit de quelque chose qui entre avec fracas dans l'eau. Je me retourne et vois la tête de Marley sortir, un peu éberluée.

-Elle est super bonne, hein ? Je l'apostrophe.

- Carrément ouais.

Elle me sourit, et j'ai l'impression d'avoir le soleil face à moi. Je la rejoins en brasse coulée, ressors à quelques centimètres d'elle.

-T'as déjà fait l'ascenseur ? Je demande.

Elle fait non de la tête. Je lui explique.

-Je vais sous l'eau, tu te mets debout sur mes épaules et tu attrapes mes mains, je fais deux secousses, et à la troisième, tu lâches et on te propulse en avant. Prête ?

Cette fois, elle fait oui, et se prépare. Je prends une longue inspiration et descends sous l'eau. JE sens ses pieds se poser sur mes épaules, et ses mains prendre les miennes. Je fais les deux secousses, et pousse au plus fort sur mes pieds. Elle s'envole, s'écrase dans l'eau. Elle ressort en prenant une grande goulée d'air. Elle a des étoiles dans les yeux quand elle me regarde.

Nous jouons dans l'eau de longues minutes encore avant de sortir. Marley retire son débardeur, restant en sous-vêtements. Elle s'allonge dans l'herbe. J'enlève mon jean trempé et lourd, l'étend au soleil, et me couche dans la continuité de Marley. Nos têtes sont côte à côte, et nous regardons le même ciel illuminé, les mêmes nuages immaculés. Nous restons ainsi, somnolant, rêvassant, pendant une bonne heure. Nous n'échangeons pas un mot. Quand je me redresse, Marley s'est endormie. Elle a l'air détendue, un vague sourire flotte sur ses lèvres. Sa peau brune est rougie par le soleil. Ses yeux clos s'agitent doucement face aux images qui défilent dans ses rêves. Je pose ma main sur son épaule nue, et elle papillonne des paupières. Lorsque ses yeux s'ouvrent et trouvent les miens, je murmure :

-Hello Sunshine...

Elle sourit, chuchote un petit :

-Salut toi.

Nous restons quelques secondes ainsi, sans dire un mot, tournés l'un vers l'autre. Elle a le visage chiffonné de ceux qui viennent de s'éveiller, mais déjà vif et malicieux. Elle est belle. Putain, qu'est ce qu'elle est belle. Avant que mes pensées ne dérivent, je me redresse.

-Nos fringues sont sèches, on peut les remettre.

Je ramasse son débardeur et son slim et les lui envoie. Je reprends mon pantalon et mon T-shirt, les enfile, m'étire. Lorsque je me retourne, Marley est en train de faire de même. Je détourne le regard, gêné soudain par sa quasi-nudité. Je me sens con. Je me sens gamin. Je me sens bien, aussi. Elle pose sa main sur mon épaule, et m'invite à avancer avec un mouvement de tête. Je la prends sur mon dos, et nous remontons jusqu'au centre. Elle descend en arrivant dans le hall, prétextant que je ne suis pas assez costaud pour monter les escaliers avec elle sur mon dos.

-On parie ?

- Tenu.

Elle remonte et j'entame l'ascension. Le premier escalier me paraît déjà long, mais le deuxième est pire, et j'abandonne au milieu. Elle descend en se foutant gentiment de moi.

-Tu me dois un service, Is.

Je me marre, hoche la tête en reprenant mon souffle. Nous rejoignons nos chambres, et devant la sienne, elle se retourne, et pose à nouveau un baiser sur ma joue, comme après la soirée. J'ébouriffe mes cheveux, embarrassé. Je ne sais pas comment m'y prendre avec les filles. Je n'ai aucune idée de ce que je suis censé faire. Elle me repousse en riant, et ferme sa porte. Je vais à la mienne, attrape une feuille de papier. Je commence machinalement à la plier, et mon origami se forme petit à petit. Lorsque j'ai fini, j'écris « merci » sur un bout de papier, que j'accroche avec du scotch. Et je sors glisser mon cadeau sous la porte de Marley. Je rejoints le foyer, où je sais trouver ma bande. Quand j'entre, des cris de joie retentissent, et je souris. Je lève un bras, en signe de victoire.

-Ils sont partis ! je dis, fier et heureux.

Ruby me regarde, douce et émue. Je ne l'ai jamais vue comme ça. Je me tourne vers Ed, qui me fait un clin d'oeil et m'indique quelque chose derrière moi. Je me retourne, et je vois entrer Marley. Elle a coincé une rose en origami dans ses cheveux.

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant