Graam
Dimanche
Alors que je bouffe mon putain de croissant, les nouveaux débarquent dans le self, à deux doigts de se pisser dessus, au bord du gouffre. J'ai envie de me marrer : s'ils savaient ce qui les attend ! On ignore encore qui va s'occuper des visites et franchement, ça ne m'enchante pas : les nouveaux ont l'air sacrément inintéressant.
Je les observe tout de même de plus près, et seuls trois d'entre eux semblent à peu près tenir debout. Le premier, un mec aux cheveux bruns, gueule de connard, l'air supérieur. Lui et moi, on pourrait bien s'entendre. La seconde, une fille, peau métisse, cheveux presque afro, des yeux marron et des formes plutôt sympas. Et la troisième... La troisième... Ses yeux bleus sont braqués devant elle, elle ne flanche pas sous les regards noirs qu'on lui jette. Ses cheveux bruns sont rejetés en arrière et son visage est à découvert. Elle a la tête haute, et je me demande si son visage ne va pas se fendre d'un sourire tant elle semble insensible face à la situation. Ses pommettes sont parsemées de taches de rousseur, sa bouche est pleine et rosée, son nez est en trompette, et l'espace d'un instant, mon esprit la compare à un ange au milieu d'un tas de démons prêts à la bouffer. Elle doit le sentir. Elle doit sentir cette pression sur elle, cette pression due à ses airs de princesse, et je sais que ce soir, ce sera la première à passer au bûcher. Ici, les filles comme elle ne font pas long feu. Elles se font casser en mille morceaux, parce que ce genre de nanas aux allures de bourgeoise n'a rien à faire ici. Ces filles-là ne peuvent pas avoir de raisons suffisantes pour rester, ou pour s'en sortir.
-Graam, tu t'occuperas de Lily-Jane.
J'entends vaguement la grognasse de proviseure m'assigner à une nana, et je ne réalise qu'au bout de cinq minutes que cette Lily-Jane se révèle être la Princesse. Je me lève et elle me suit sans faire d'histoire.
Je lui fais faire le tour du proprio, essayant d'obtenir d'elle une réaction quelle qu'elle soit, mais rien n'y fait. Ni l'humour, ni la provocation, rien. Et là, le petit con qui sommeillait en moi se réveille, intrigué par cette fille qui semble aussi expressive qu'un mur. Le petit con décide qu'il va percer à jour la demoiselle. Le petit con décide qu'il se fera une mission de la voir perdre son sang-froid. Ses yeux bleus me bouffent, elle a une manière de me regarder qui me fout en l'air. Elle n'a jamais vu un mec tatoué ou quoi?
Elle ne regarde pas les pièces, elle ne répond pas à ce que je lui demande, elle ne réagit pas à mes pics. La seule chose que j'ai obtenue d'elle est un éclair chaque fois que je lui souris. Cette fille va être un calvaire. Je ne vais jamais réussir à percer son mystère, jamais réussir à l'avoir dans mon lit, mais je me jure de trouver la faille et de m'y engouffrer. J'ai horreur qu'on m'ignore, horreur des secrets, horreur qu'on me fuit, et cette fille compile tout ce qu'il ne faut pas. Lorsque je lui montre les douches, précisant qu'elles sont mixtes, un petit rire s'échappe de ses lèvres rosées, un truc merveilleux. Je veux dire, un truc incroyable vu qu'elle n'a pas décroché un mot en vingt minutes.
Ce qui est sûr, c'est qu'avec elle, il n'y aura aucune nuisance sonore. Je finis par la laisser dans sa minuscule chambre, et un éclair de génie me traverse. Je tends la main devant moi, à défaut de dire un simple « au revoir ». Son regard va de ma main à mes yeux et là, miracle!
-À ce soir.
Elle me ferme la porte au nez. Sa voix est douce et légèrement cassée, et je me rends compte que n'importe qui aurait serré ma main, mais pas elle. Pas elle. Elle a préféré parler à me toucher : la faille est là. Mais ce n'est pas tout. Lors de notre visite, je l'ai vu à plusieurs reprises descendre ses manches discrètement comme s'il faisait froid. Pourtant, avec la chaleur, elle devait crever de chaud, alors ce n'est pas une question de température : elle cache quelque chose, sur sa peau.
Autant les secrets des autres sont faciles à percer, ils sont simples, tout bêtes, ils se lisent sur leur visage, autant elle... Elle, c'est un mystère, et peu importe comment, je veux savoir quel sombre secret est enfermé derrière cette apparence naïve et innocente.
[...]
J'attends qu'elle arrive depuis que je l'ai laissée dans sa chambre. La journée m'a semblé longue, affreusement longue, mais j'attends patiemment qu'elle ouvre cette putain de porte et qu'elle aille se servir sa bouffe.
Elle finit par s'asseoir seule, à une table de la mienne, la tête dans un bouquin, à manger sans rechigner la bouffe infâme. Elle porte des lunettes, ses cheveux sont relevés en un chignon et je me surprends à l'imaginer soupirer mon prénom sous l'assaut de petits baisers dans son cou. Je secoue la tête. Ça arrivera, mais ça, c'est l'étape finale. Je manque de faire une crise cardiaque quand un des nouveaux vient éclater ma bulle de solitude.
-Christopher, dit-il simplement.
Sans décrocher mon regard de Lily, je lui réponds.
-Graam.
-Jolie cette nana, pas vrai ?
Je hoche la tête en serrant les dents. J'ai horreur qu'un autre mec chasse la même proie que moi. Heureusement pour lui, il change de sujet et nous commençons à converser de divers trucs.
Il est sympa, on se ressemble pas mal dans la manière de penser, et bien que je préfère être seul d'habitude, il me fait marrer. Alors je prends sur moi et le laisse rester.
Soudain, la Princesse est interrompue dans sa lecture par deux grognasses du clan Derek. Émilia et Esther s'avancent vers elle en dévoilant leurs imposants décolletés, un sourire carnassier sur leurs visages trop peinturlurés. Je sens le mauvais coup, mais même s'il m'est difficilement supportable de voir ces deux pétasses titiller la Princesse, je prends sur moi et regarde la scène comme on materait un film de boule -très attentivement.
-Salut Princesse, t'es nouvelle ici, non?
La Princesse ne répond pas, ses yeux braqués sur les deux nanas. Émilia attrape son livre, Esther prend son plateau, et toutes deux semblent satisfaites de leur coup. Lily ne réagit pas. Son sang-froid est incroyable, je suis étonné.
-Oh, chérie... Tu ne vas pas pleurer, quand même? Ricane Esther.
Toujours aucune réaction, je sens que les grognasses perdent leurs moyens. Le silence de Lily fait froid dans le dos, je me demande si elle va exploser, ou si elle va juste rester là, à les regarder. Je vois ses épaules se tendre quand Émilia se met à déchirer le bouquin. Elle rit, lui jettent les feuilles au visage, et fait cela encore et encore, attendant une réaction, pourtant Lily reste de glace, je sens presque sa rage gronder silencieusement.
-Mais putain t'as un truc qui ne va pas? Tes neurones ont disjoncté? Eh Princesse, t'es triso?
Elles se mettent à s'approcher d'elle. Elles sont si avides de réaction face à leurs provocations, s'en est pitoyable. Pourtant, lorsque Esther touche une mèche de cheveux de Lily, elle se lève brusquement, et son masque se fracasse sur le sol. Sa faille, c'est le contact. Émilia pose sa main sur l'épaule de Lily, qui, immédiatement la gifle.
J'en reste ébahi. La grognasse reste sur le cul, la main sur la joue, et, alors qu'Esther s'apprête à se jeter sur Lily, je m'interpose. Hors de question qu'elle la touche plus, personne n'a le droit de l'abîmer.
Je sens ma Princesse prête à exploser, alors j'attrape doucement sa main et la tire hors du self, mais elle reprend ses esprits et court à sa chambre avant même que je n'ai pu réagir.
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Cygnes, dans l'ombre, la lumière
Misterio / SuspensoCentre Spécialisé d'île de France, ou centre spécialisé pour adolescents jugés "instables" ou "à problèmes" si vous préférez. Un endroit qui regroupe des jeunes de 10 à 25 ans, des jeunes qui se croisent, créent des liens, s'affrontent. Entre prov...