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Ruby

Lundi

Quand le réveil sonne dans le couloir et que Rachel vient taper à la porte, je suis déjà debout. Je cours à la douche pour être la première, pour avoir un peu de temps à moi avant que la nuée de mouches ne débarque. J'entre dans une cabine, laissant couler sur moi l'eau encore fraîche. Mais je n'ai pas le temps de larver. Je me savonne et me rince en moins de deux, et je sors précipitamment.

Dans le couloir, les premières voix s'élèvent. Les levés vont vers les douches ou descendent au self. Moi, je retourne à ma chambre poser ma serviette et me changer. J'enfile ma robe noire et des grandes chaussettes, je mets une de mes paires de talons, et mon keffieh. Il fait frais ce matin, malgré le ciel bleu. L'été n'est pas encore là, et les températures varient sans cesse. C'est méga chiant. Je sors, frappe à la porte d'Isac. Il a l'air surpris en me voyant.

-T'as attaché tes cheveux ?

- Nan nan, c'est une illusion. Je me suis dit que ça ferait plus sérieux, vis-à-vis des nouveaux profs. Et puis j'ai sport, et j'aime pas avoir les cheveux dans les yeux en lutte. Donc ouais, j'ai fait un chignon. On y va p'tit frère ?

- Yes, on y go, sista.

On descend vers le self d'un même pas. Les inséparables Chesterfield. J'oblige Phoebe à manger une pomme, vu qu'elle a le ventre noué par la rentrée (comme d'hab), et je prends un paquet de biscuits petit-déj pour la récré, histoire de nourrir Félix qui ne descend même pas, cet abruti. J'envoie Isac le secouer, et on se donne rendez-vous en anglais, avec l'horrible Miss Gregoria. Celle-là, si c'était pas ma prof, elle aurait finie clouée sur un mur.

En poussant la porte de la salle, je soupire de toutes mes forces. Et c'est reparti pour un an. Je vais m'asseoir à côté de Phoebe, Félix et Marley devant, Rio et Isac derrière. L'heure passe lentement, je suis à deux doigts d'imploser quand elle nous distribue pour la énième fois la fameuse fiche de présentation. Je sens la main de mon frère sur mon épaule, et je me retourne.

-Miss Chesterfield, could you turn around, please ?

- Is that a real question ? I mean, if I say no, what would you do ?

- Turn around girl !

- No.

La classe bourdonne de murmures amusés. Encore une provocation, et ça sera la pagaille.

-Miss Chesterfield, turn around and answer to the questions of your paper !

- I said no. What don't you understand ?

Et là, c'est le drame. Les élèves commencent à rire, et la prof ne sait plus où se mettre. Heureusement pour elle, la sonnerie retentit, et nous sortons tous sans même attendre son ordre.

-Bon, les gens, moi, j'ai sport, je vous retrouve après. Vous êtes en quoi, là ?

- Rien. On a perm. On se retrouve pour bouffer ?

Je hoche la tête et sors les biscuits pour Félix. Il me sourit, et mes comparses se barrent. Moi, je récupère mes affaires au casier, direction gymnase.

Je suis la seule fille. Du coup, les mecs ne tardent pas à envahir mon vestiaire, parce que le leur, est trop petit. Je sors vite, pour ne pas qu'ils me chauffent. Je dois garder mon énergie pour tout envoyer en lutte. Je monte vers la petite salle, et rentre. Je pose mon sac sans prêter attention à personne.

J'ouvre mon sweat vert, dévoilant mon T-shirt blanc, qui s'arrête au dessus du nombril. Je suis plus à l'aise dans ce vêtement moulant. Pas de prise facile pour mes adversaires.

Le prof nous fait nous affronter par deux, le temps que tout le monde arrive. Je monte sur le tapis, face au grand black, le nouveau. Il fait au moins une tête de plus que moi. Il sourit, savourant déjà sa victoire hypothétique. Il va prendre cher. Très cher. Il profite du compte à rebours pour me mater, ce qui me met en rogne. Alors à zéro, je me jette sur lui.

Les autres n'ont pas dû lui dire qu'à ce sport, je suis surnommée "la tigresse". À genoux, ou pas, je bondis sur les côtés, évitant ses coups, l'épuisant. Rapidement, il s'essouffle. Alors je m'accroupis, pousse sur mes jambes, et me projette en avant. Il n'avait pas prévu le coup, et il tombe en arrière sous la violence du choc. Je m'assieds sur lui, plaquant ses épaules au sol en appuyant de toutes mes forces. Les autres comptent.

1, 2, 3...Il tente encore de se débattre, et j'hésite à lui mettre un coup de boule pour lui péter le nez, histoire de le calmer.

4, 5, 6, 7...Dans un espoir presque vain, je sens ses épaules se contracter. Il va tenter le tout pour le tout. Alors, les mains toujours plaquées sur ses épaules, je me penche en avant, quasiment allongée sur lui. Il est coincé. Il le sent.

8, 9, 10. Fin du round.

Je me relève, adressant un dernier regard à mon adversaire. Je souris malgré moi en entendant un camarade murmuré "la tigresse a encore gagné." Que c'est bon, cette violence. Quel plaisir. Je lève enfin les yeux sur la foule exclusivement masculine qui m'entoure. Je fais le tour des visages, quand mes yeux se bloquent.

Là, devant la porte, appuyés contre le mur, l'air amusé et étonné, il y a Edward. Edward qui m'a sauvé la vie plus d'une fois. Edward qui m'a appris à taper vite et droit. Un sourire discret se dessine sur ses lèvres. Il me fait un clin d'oeil, et sort de la salle. Je le suis et le retrouve dans les toilettes.

-Salut miss.

Sa voix est chaude, plus roque que dans mon souvenir. La voix d'un fumeur. Il me regarde attentivement, cherchant à déceler les marques du temps. Quand il est parti, j'avais 17 ans. J'en ai 19 à présent. Je ne sais pas si j'ai changé physiquement, mais je suis plus sûre de moi. Alors je m'approche. Il ouvre ses bras, et m'enlace. Je me serre contre lui, et je souris.

-Ça fait du bien de te voir, miss, murmure-t-il.

Il a raison. Ça fait du bien.

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant