Ruby
Dimanche
Le jour s'est déjà levé. Cela doit faire deux heures que je suis couchée, mais je ne dors pas. Je regarde le plafond, où la lumière s'intensifie.
Et puis je l'entends. Un hurlement glaçant, un cri venu des tréfonds de la terre. Le cri de terreur de mon frère. Je me lève en un bond, me jette vers la porte. Son cri est déchirant, et déjà, plusieurs personnes sortent la tête. Personne n'est insensible à cet appel. Je traverse le couloir comme une furie, ouvre la porte et me précipite sur mon frère. Il est assis dans son lit, les yeux grands ouverts.
-ISAC !!! ISAC RÉVEILLE TOI !!! ISAC !!
Je le gifle en hurlant son nom, et je le sens revenir. Son cri s'estompe, il se tourne vers moi. Soudain, il cligne des yeux, et je sais qu'il est là. Les larmes dégoulinent sur mes joues.
-Ruby ?
- Oui, Isac, c'est moi. Je suis là. Tout va bien. C'était un cauchemar. Un démon. Tout va bien, maintenant. Je suis là, mon chéri. Je suis là.
Il se blottit dans mes bras, comme quand il était enfant, et je le serre très fort. J'ai du mal à respirer. Je ne supporte pas de le voir souffrir comme ça. Je le berce, je le cajole. Quelqu'un ferme la porte sur nous, et je suis rassurée que plus personne ne nous voit.
Ses terreurs n'appartiennent à personne, pas même à moi. Je suis juste chargée de les éloigner, de les faire fuir. Isac tremble dans mes bras. Je le soulève, le mets debout. Je vois ses larmes couler. J'essuie rageusement les miennes, d'un revers du poignet. Je marche vers la porte, saisi la serviette de mon frère, la pose sur mes épaules. Et je vais vers les douches, en le soutenant du mieux que je le peux.
Les regards se posent sûr nous. Certains petits cons en profitent pour me reluquer, parce que je suis en pyjama. Il me siffle, mais je ne leur accorde pas un regard. J'entends un bruit de chute et un cri, mais je ne me retourne pas. J'entre dans une douche, soutenant toujours mon frère. J'allume le robinet, le baisse au minimum, et lance le jet glacé sur lui. Ses yeux reprennent une vague lueur, il se met à faire des gestes brusques. Je le retiens pour qu'il ne glisse pas. Je lui parle en continu. Je ne sais plus ce que je raconte, mais je le rappelle à moi. Il s'accroupit, la tête dans les mains. Je me baisse, laissant couler l'eau sur son dos, sur mes bras, sur nos corps enlacés. Je lui prends le menton, l'oblige à me regarder.
-Ils sont revenus, Ruby. Ils nous ont tous massacrés. Ils nous ont torturés. Si tu savais ce qu'ils t'ont fait, Ruby. Et moi, je ne pouvais rien faire. Je te voyais, et je ne pouvais rien faire. Ils me faisaient mal, tu sais. Je crois qu'ils m'ont arraché le bras. Ils étaient plus nombreux. Ils n'avaient pas de visages. Ils étaient gris, comme si toute vie les avait quitté. Ils t'ont torturée, Ruby. Et puis Edward, Marley, Rio, Félix, Phoebe. Mais toi surtout. Parce qu'ils voyaient que ça me faisait mal. Ils t'ont violée. Ils t'ont démembrée. Ils t'ont mangée. Et à chaque fois, tu reprenais corps, ils te torturaient encore, et encore, et encore, et encore. Ils ne me laissaient pas en paix. Ils m'obligeaient à regarder. Ils me faisaient mal. Tellement mal. Je... Je n'en peux plus, Ruby. Je n'en peux plus...
Je vois dans ses yeux la terreur et la douleur. Je vois ses larmes qui ne s'arrêtent pas. Je sens ses membres qui tremblent. Je le relève, éteins l'eau, attrape la serviette. Je le frotte vigoureusement, tente tant bien que mal de le réconforter. Il se retourne, se serre contre moi. Il est un peu plus grand, mais il peut encore poser sa tête sur mon épaule. Je le serre contre moi. Je suis trempée, gelée, mais il s'en fiche. Il a peur. Je le retiens, le porte presque. Je le ramène à sa chambre, le couche dans son lit. Il est brûlant de fièvre malgré la douche glacée. Il a les yeux dans le vague, qui cherchent où s'arrêter. Je lui fais prendre un somnifère.
Quand il s'éveillera, on lui aura injecté de la morphine. Il se souviendra de tout, il verra toutes les images. Et il devra se consolider, encore une fois, pour vivre avec. Il ferme enfin les yeux, s'endort, plonge dans un sommeil sans rêves. Je sors de la chambre, ferme la porte.
Félix et Phoebe se tiennent là, et je les envoie chercher l'infirmière. Marley, Rio et Lily sont en retrait, serrés les uns contre les autres. Ils ont l'air effrayés. Les cris de mon frère sont pires que tout. Ils viennent de loin, de l'enfer ou de quelque chose qui s'en rapproche. Je m'appuie contre la porte et glisse petit à petit, m'asseyant finalement.
-Putain de bordel de merde.
J'ai parlé plus fort que je ne l'aurais souhaité. Mes yeux se ferment, papillonnent, se rouvrent. Je suis épuisée, soudain. Je sens des mains sur mes épaules, et je me penche en avant. Je reconnais l'odeur d'Edward, et j'appuie ma tête sur son torse. Je dégouline toujours d'eau. Mes cheveux gouttent sur lui. Il me prend dans ses bras, me murmure des mots de réconfort. Mais l'image d'Isac me revient, et chacune de ses paroles résonne dans mon crâne.
-Comment peut-il vivre avec ça ? Pourquoi lui ? Putain, mais pourquoi ces démons ne le lâchent pas ? On a tout essayé, Edward ! Tout !
- Je sais Ruby. Je sais. Mais rien n'y fait. Il est malade. Et il a besoin de toi. Ne lâche pas, miss. Moi, je reste dans ton dos, je te porte. Je surveille tes arrières. Et toi, tu restes auprès de lui, et tu le consolides. Comme toujours.
Je hoche la tête piteusement. J'essuie à nouveau mes larmes, et je me détache de l'étreinte d'Edward. Je me relève, respire à fond, et je retourne au chevet de mon petit frère, au fond du gouffre, au coeur de l'abîme, là où toute lumière semble avoir disparue...
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Cygnes, dans l'ombre, la lumière
Gizem / GerilimCentre Spécialisé d'île de France, ou centre spécialisé pour adolescents jugés "instables" ou "à problèmes" si vous préférez. Un endroit qui regroupe des jeunes de 10 à 25 ans, des jeunes qui se croisent, créent des liens, s'affrontent. Entre prov...