43•

2 0 0
                                    

Ruby

Vendredi

-Alors c'est fait ?

Je souris à Isac en hochant la tête. Il bondit en gueulant yes et me serre dans ses bras. Et puis il part en sautillant presque.

-Mais tu dis rien, hein ?! Je gueule.

Il lève le bras en signe d'approbation, et fait le v de la victoire avec deux doigts. Je ris. Je suis euphorique.

Il m'aime. Il m'aiiiiiiiimeeeeeee !

Je me prends à chantonner dans les couloirs vers ma salle d'histoire. Il m'aime. Et moi, mon dieu, je l'aime encore plus qu'avant ! En cours, je n'arrive pas à me concentrer. J'ai envie de le voir. J'ai envie qu'il me frôle, qu'il me guette du regard. Tout prend un autre sens à présent. Tout devient flirt. Les heures de cours s'étirent infiniment. Plus que deux, plus qu'une avant de le voir, de manger avec lui. Est-ce qu'il voudra le dire aux autres ? Ou alors, ça sera notre secret ? Je sors précipitamment de la salle, laissant Félix et Phoebe décontenancés. Je cours presque jusqu'à sa salle. Il est là, dans le couloir, courant presque lui aussi. Je ralentis, marche vers lui. Il me regarde venir, l'air incroyablement heureux. Nos sourires, ce sont les mêmes. Ils sont effroyablement niais, mais tellement vrais en même temps. Quand je suis à une enjambé, je m'arrête. Il franchit la distance qui nous sépare, passe sa main dans mon dos, et m'embrasse. C'est tellement doux d'être comme ça, contre lui. D'avoir la sensation, enfin, d'être complète. J'entends des rires suivis d'applaudissements dans mon dos. Ed se redresse, et se marre. Je me retourne, et vois, au bout du couloir, toute la bande.

-Bah quand même ! Gueule Rio, hilare.

Je crois que la question du secret passe à la trappe. Je me blottis contre mon amoureux. Il passe son bras autour de mes épaules, et nous rejoignons le groupe.

La journée s'écoule dans une dimension parallèle, hors du temps. Je flotte sur un nuage de bonheur. Je m'agace moi-même, mais je n'arrive pas à me calmer. C'est tellement bon putain, ce sentiment de joie pure et brutale. Il n'y a plus de poids sur mon coeur. Je me sens vivante. Purement et simplement vivante.

Lorsque revient le soir, je me mets à douter. Et maintenant, on fait quoi ? Je m'apprête à quitter ma chambre quand Edward pousse la porte. Il me sourit, se faufile, referme derrière lui. La lumière dégueulasse du plafonnier ne parvient pas à l'enlaidir. Il me sourit, et je frissonne. Il s'assied à côté de moi, prend ma main, joue avec mes doigts. Il est tellement délicat dans ces moments que je ne comprends pas comment il s'y prend. Il me regarde, et je baisse les yeux.

-Edward ?

- Oui, miss ?

- On fait quoi maintenant ?

Il laisse planer le silence. Je crois qu'il n'a pas plus de réponses que moi. Mais je sens qu'il se posait la même question. Il se lève, me tire vers la porte.

-Viens.

Nous traversons les couloirs le plus discrètement possible. Si on se fait choper, on peut être renvoyés. Et je n'ai nul part où aller. Il m'entraîne vers le jardin, et nous sortons. Dehors, l'air est encore frais, et nous nous blottissons l'un contre l'autre. Nous sommes trop cons pour avoir pris des pulls... On ira loin, j'vous jure. Nous marchons un peu, pour nous éloigner du bâtiment. Au bout d'une petite dizaine de minutes, nous nous retrouvons devant la grande esplanade. C'est une prairie qui fleurit en été. Mais pour l'instant, ça n'est qu'une grande étendue d'herbe. On s'allonge main dans la main. Et Edward commence à parler.

-On n'a plus notre place ici. Si je t'ai, je ne ferai plus de crises. Et tu maîtrises ta violence. Ce centre, on peut le quitter. On est majeurs, on est nos propres tuteurs, on s'en va quand tu veux. Et puis une fois dehors, on ira vivre dans un petit appartement. Je te présenterai mes parents. Ils t'adoreront. Et puis je deviendrais garagiste, parce que ça au moins je sais faire. Je travaillerai avec mon beau-père. Et toi, tu feras ce que tu voudras. Et quand on aura mis un peu d'argent de côté, on se paiera une petite maison.

Il s'arrête. Tout cela n'a pas de sens. Ce n'est que rêverie. D'abord, parce qu'il y a Isac. Et puis parce que rien n'est aussi simple. Alors il reprend.

-Je t'aime, Ruby. Je t'ai aimé au bout de quelques mois. Je t'ai aimé secrètement pendant deux années. Je t'ai aimé à distance pendant deux autres années. Et quand je t'ai retrouvée, je t'ai aimé encore plus, et j'ai réalisé que je n'en aimerais aucune autre. Parce qu'un amour qui tient deux ans sans contact, c'est un amour infaillible. Je t'aime et rien ne nous séparera plus. Ni le centre, ni le quotidien, ni la vie.

Je sais que je devrais avoir peur, que je devrais trouver ça bizarre qu'il me dise ça, comme ça, au bout d'un jour. Mais j'ai l'impression qu'on est ensemble depuis toujours. Je sais trop de choses sur Edward. Nous nous sommes construit l'un sur l'autre, puis l'un sur l'absence de l'autre. Les paroles qu'il vient de prononcer, je pourrais les avoir dites aussi. Il y a des fois, comme ça, où dès le premier sentiment amoureux, on sait que ça sera pour toujours. Qu'il n'y aura personne d'autre, jamais. Edward est mon autre moitié. Il nous a juste fallu quatre ans pour l'accepter et pour oser se le dire, mais ces quatre années n'ont pas été perdues. Parce que je sais très exactement à quel moment, nous nous sommes aimés pour la première fois. Et je sais que depuis, nos coeurs battent ensembles. En quatre ans, nous aurions pu nous unir des milliers de fois. Et nous l'avons fait sans nous l'avouer, sans nous en rendre compte, le jour où il m'a ramassée après une crise d'Isac. C'est là que nos vies se sont liées. Et depuis, nous nous consolidons tant bien que mal l'un avec l'autre. C'est comme un puzzle qu'on aurait construit dans le noir. Et là, la lumière s'est allumée, et on découvre enfin la vérité. Ma vie et celle d'Edward sont éternellement liées. Non pas parce que c'est comme ça, mais parce qu'on en a envie, parce qu'on l'a décidé.

Alors oui, quand Edward me parle d'avenir, quand il recommence à me décrire la maison où nous vivrons, j'y crois. C'est idiot, c'est niais, mais j'y crois. Et plus il parle, plus je comprends. Désormais, nous vivrons comme nous le pourrons. Au centre d'abord, pour Isac. Et pour Marley puisque tout commence entre eux. Et quand il sera temps, nous partirons. Et advienne que pourra. Nous serons trois, peut-être quatre, nous aurons des mains pour travailler, des poings pour nous battre, des idées, des projets, et l'envie folle de rattraper tout ce temps que nous perdons ici. Le monde sera à nous. Nous y trouverons notre place. Pour la première fois depuis des années, je comprends que tout a un sens, que toute ma vie n'est pas foutue, et que l'espoir est comme un phoenix : il renaît toujours de ses cendres.

-Je t'aime Edward. Je t'aime pour toujours et à jamais.

Nos mots sonnent comme des promesses dans la nuit. Nous savons l'un comme l'autre à quel point ils ont été durs à dire. Et nous savons aussi qu'à présent, ils nous ont unis. Bien sûr, il y aura des doutes, bien sûr, on trébuchera. La vie, ce n'est pas un conte de fée. Mais lorsqu'on veut quelque chose, lorsqu'on sait où on va, peu importe si on se casse la gueule, tant qu'on garde l'objectif en tête.

Lorsque Edward me prend dans ses bras, les paroles de ma grand-mère me reviennent en tête.

« Ruby, l'amour, c'est la plus belle chose du monde, si tu apprends à l'accepter. Tu ne peux pas le contraindre. Tu ne peux pas le rejeter. Mais si tu l'as en toi, si tu aimes et que tu es aimée en retour, alors tu n'as plus froid, tu n'as plus peur, tu as de l'espoir et de l'énergie, tu peux déplacer les montagnes. L'amour, c'est comme la foi, ma petite fille. C'est un trésor qui se partage, mais qui est intime. C'est un frein, parfois. C'est une cage, aussi. Mais la cage, c'est toi qui as choisi de t'y mettre, et le frein, c'est toi qui l'actionnes. Parce que si tu aimes vraiment, tu n'es plus la seule qui compte. Tu es deux. Tu dois vivre non plus pour toi, mais pour l'autre. Et ça, c'est infiniment précieux. Alors si tu trouves l'amour, ne lâche jamais prise. Jamais. Quoi qu'il arrive. »

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant