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Edward

Dimanche

Le jour se lève, j'entends les oiseaux gazouiller. Je n'ai pas pu fermer l'œil. Ruby n'a pas quitté mes pensées une seule fois. Quelle soirée !

Soudain, j'entends un hurlement. Quelque chose qui vient des enfers. Puis de l'agitation se fait sentir dans le couloir. Je pourrais reconnaître ce cri entre mille. Isac.

Je me lève d'un bon, enfile les premiers trucs qui me tombent sous la main et sors en trombe dans le couloir. J'entends la voix de Ruby, je sens la panique. Je vois la porte de la chambre d'Isac entrouverte, sans hésiter, je m'avance pour la fermer. Je sais exactement ce qui se passe : les démons d'Isac sont de retour et franchement ça me met au plus bas. D'abord, car je connais Isac et que j'ai déjà vécu ce genre « d'incident » mais aussi, car je m'imagine très bien l'état de Ruby.

Ils sortent de la chambre et se dirigent vers les douches, je vois les gars reluquer Ruby, la siffler comme si c'était un bout de viande. J'en frappe un, il tombe au sol. Tu l'as mérité connard.

Toute cette situation me replonge 3 ans en arrière, lors de la première crise d'Isac au centre :

« J'étais calmement posé dans mon lit, dans le noir. Je réfléchissais et me posais mille et une question. J'étais dans une mauvaise passe. Puis j'ai entendu un cri, comme si quelqu'un venait de se faire poignarder. Je me souviens être sorti de ma chambre, avoir vu l'état de panique dans le couloir. Puis j'ai entendu cette voix, la voix de Ruby, brisée. Elle hurlait comme son frère, je ne savais pas quoi faire. J'étais dans un état second. Je ne comprenais pas. Elle envoyait tout le monde sur le banc de touche. Elle ne laissait personne l'approcher même moi. J'attendais dans le couloir comme un con. Le même scénario s'est produit.  Elle est sortie avec Isac sous le bras, l'a conduit à la douche pour le sortir de son état de « transe » si on peut appeler ça ainsi. Elle ne laissait personne l'approcher. »

Je me souviens le moment où elle m'a tout expliqué. Elle s'est ouverte à moi ce jour-là, elle en avait gros sur le cœur. Elle a pleuré, et j'ai été là, pour elle, dans ce moment difficile qu'elle connaît pourtant bien depuis toutes ces années.

Les revoilà, ils plongent dans la chambre d'Isac sous les regards interrogateurs de tout le couloir. J'essaie de rester de marbre, mais je n'attends qu'une chose : que Ruby sorte.

Isac est très fragile. Il ne le laisse pas paraître au premier abord, mais il souffre tellement. Son passé l'a traumatisé. Ses séquelles seront présentes toute sa vie. Le seul problème, c'est qu'il n'arrive pas à aller au-delà de ses terreurs nocturnes, il n'arrive pas encore à les surmonter. Et moi et Ruby sommes tous deux inquiets de son état.

Va-t-il s'en sortir ? Personne ne le sait. Ses souffrances à répétition, vont-elles s'atténuer ? La question est sans réponse.

Ruby sort, elle se glisse contre la porte. Elle marmonne quelque chose d'imperceptible. Je me dirige vers elle et passe une main réconfortante sur son épaule. Elle appuie sa tête sur mon torse et je l'attire dans mes bras. Elle en a besoin, elle a besoin de se sentir comprise et soutenue.  Elle prend la parole en premier :

-Comment peut-il vivre avec ça ? Pourquoi lui ? Putain, mais pourquoi ces démons ne le lâchent pas ? On a tout essayé, Edward ! Tout !

- Je sais Ruby. Je sais. Mais rien n'y fait. Il est malade. Et il a besoin de toi. Ne lâche pas, miss. Moi, je reste dans ton dos, je te porte. Je surveille tes arrières. Et toi, tu restes auprès de lui, et tu le consolides. Comme toujours.

Elle se détache de moi et retourne dans la chambre. Je ne peux rien faire de plus, seulement être là pour elle quand elle sortira.

Je conseille aux autres de ne pas s'inquiéter et explique que Ruby à la situation sous contrôle. Je ne me crois pas moi-même...

Elle se retrouve encore enracinée dans une profonde tristesse que personne ne peut apaiser. Elle rejoint encore les entrailles de la terre.

Tout tombe en miettes. Tout ce qu'Isac a construit depuis sa dernière crise disparaît dans un nuage de fumée noire. L'horreur et la fatalité se sont donné rendez-vous chez Isac cette nuit. J'espère qu'il va remonter à la surface. Qu'il ne va pas sombrer dans les abysses trop longtemps.

Le couloir se vide, je suis seul. L'infirmière est entrée et ressortit. Elle a dû injecter de la morphine à Isac, pour son réveil. Elle m'a dit qu'il se réveillerait sans doute en fin d'après-midi.

J'attends Ruby. Je m'assois contre le mur et j'attends, la tête dans les mains. Je suis tourmenté, tout tourne dans ma tête à une telle vitesse que je n'arrive plus à penser correctement. Je reste devant cette porte à patienter pendant une heure, peut-être même deux.  Rien, le néant. Je n'entends plus aucun bruit venant de la chambre. J'hésite à entrer. Ruby a sûrement besoin de moi, mais je ne veux pas non plus m'imposer. La porte s'ouvre, elle sort.

Elle s'assoit à mes côtés. Je passe mon bras autour de ses épaules. Elle craque et je lis dans ses yeux une tristesse immense. Alors je la sers fort comme si ma vie en dépendait. Et comme si la sienne aussi. Je lui murmure doucement :

-Je ne te lâche pas miss, et il ne nous lâchera pas non plus je te le promets.

Je ne sais même pas si je dois me croire ou pas. Mais la tristesse de Ruby me plonge dans un profond désarroi. Je l'embrasse sur le haut du crâne, et lui caresse le bras en signe de réconfort. Nous restons dans cette position pendant une trentaine de minutes. Dans un silence de mort.

-Ne sous-estime pas la force de ton frère Ruby. Il va s'en sortir.

Elle me serre encore plus fort. Nous restons figés dans la même positon, attendant le réveil d'Isac.

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant