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Ruby

Nuit de Jeudi à Vendredi

On frappe à ma porte, alors que je suis sur le point de sortir discrètement. Qui vient me faire chier à cette heure-ci ? J'ouvre la porte et me retrouve face à Isac, l'air contrarié. Je le fais rentrer, et il s'installe au bout du lit. Je me mets face à lui, sur mon oreiller. Le silence se prolonge un peu. Ça a tendance à me soûler, moi le silence.

-Bon, vas-y, balance, p'tit frère.

-Je crois que je suis amoureux.

Je manque m'écrouler de rire. Nooooon, tu crois ? Mais je me retiens et l'invite à poursuivre d'un geste de tête.

-Depuis ma terreur, je suis pas mal resté avec Marley, et je ne sais pas trop ce qui m'arrive. Elle est tellement sympa et drôle. On parle tout le temps, et même quand on se tait, c'est des bons moments. Elle me fait rire, et je crois que c'est réciproque. Et puis à chaque fois que nos regards restent longtemps croisés, j'ai le ventre serré, et j'ai envie de la prendre dans mes bras, de l'embrasser. J'avais jamais ressenti ça avant, et c'est super soudain. Ça fait deux semaines qu'on se connaît et je suis déjà ému à chaque fois que je la vois. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Est-ce que... Est-ce que je suis amoureux, Ruby ?

Je réalise à quel point mon frère est encore un enfant. 17 ans... Il a beau être mature, il ne connaît rien à la vie. Pas plus que moi. Il est touchant avec ses phrases alambiquées, ses mots où je le vois s'empêtrer pour la première fois. Oui. Oui, il est amoureux. Bien sûr qu'il est amoureux. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Il est amoureux de Marley, et je trouve ça bien. Lorsque je le vois comme ça, je suis fière de ce qu'il est devenu. Je suis émue de le voir si vieux et si petit en même temps. Mon petit frère. J'ai presque les larmes aux yeux de le voir là, face à moi, perdu et penaud, mais plein d'espoir et de confiance. Marley lui fait du bien, y'a aucun doute. Il a fait une crise y'a pas longtemps, et il s'en remet bien mieux qu'à chaque fois. Et je sais bien que c'est à cause d'elle. Quand il était enfant, une présence familiale suffisait. Je suffisais. Mais il a grandi, il est presque adulte. Et c'est une âme soeur dont il a besoin pour chasser ses démons. Je le sais depuis toujours. J'ai cru que mon frère n'aurait plus besoin de moi à ce moment. Mais maintenant, je sais que je me suis trompée. Il aura besoin de moi pour de nouvelles choses. Mais il continuera de venir frapper à ma porte, pour avoir des conseils.

-Oui, Is. Tu l'aimes. C'est pas une question de temps, ou quoi que ce soit. C'est une question d'atomes crochus. De chimie. Ou de coeur. On s'en fout de comment ça se fait. Le principal, c'est que ça arrive un jour, et qu'il faut apprendre à nager dans ses eaux-là, sinon on coule. Et comme je suis stupide, mais que j'apprends de mes erreurs, je vais te faire éviter ma bêtise. Comme tu le sais, ça fait des années que je suis amoureuse d'Ed et que je n'ose pas le lui dire. Alors foutue pour foutue, autant que ça te serve de leçon. Alors tu vas te démerder pour le dire à Marley. Et puis tu vas faire ça bien. Dans la semaine, tu vas monter quelque chose de beau, quelque chose dont elle se souviendra. Quelque chose qui la marquera à vie, et même après sa mort. Tu vas lui donner rendez-vous quelque part, à un endroit que tu aimes. Et tu vas lui dire la vérité, simplement, naturellement. T'auras pas envie. T'auras peur. Mais tu vas le faire. D'accord ?

Il hoche la tête, se lève, va vers la porte. Il a peur, je le sais. Mais je sens qu'il va le faire. J'aimerais savoir comment il s'y prendra, mais je ne peux pas le lui demander. Avant de sortir, il se tourne vers moi et me demande :

-J'ai le droit à un temps plus long si je fais quelque chose de vraiment ouf ?

- Un mois. Dans un mois, si tu ne lui as rien dit, c'est moi qui le fait.

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant