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Isac

Samedi

Nous sommes tous installés dans le réfectoire, en plein repas, les voix s'élèvent dans la pièce, un brouhaha énorme se fait entendre, comme à chaque fois et personne ne remarque l'arrivée de la directrice et de quelques gardes.

-S'il vous plaît, tout le monde, un peu d'attention !

Les discussions ne baissent pas d'un poil. Le volume sonore n'est pas au max, mais je dirais bien qu'il augmente un peu.

-FERMEZ-LA BANDE DE PETITS MERDEUX !

C'est Hans qui a crié. Et comme il fait deux mètres de haut, 1 de large, qu'il a des bras de Minotaure et que c'est le seul garde qu'on apprécie, tout le monde obéit.

Le silence règne, nous attendons tous impatiemment que la directrice prenne la parole.

-Comme vous le savez tous, reprend Madame Esterlitz, demain, c'est la rentrée.

Brouhaha désapprobateur, stoppé par un nouvel ordre d'Hans.

-Donc, comme vous le savez, les nouveaux vont arriver. Je veux que vous leur fassiez bon accueil. Il y en a parmi eux qui sont particulièrement fragiles, et il est hors de question que nous dépassions les quotas de blessures et de suicides réglementaires. Me suis-je bien fait comprendre ? Balance madame Esterlitz avec un regard dur.

Un silence suivi de la reprise des discussions répond à notre directrice bien-aimée. Du haut de ses talons aiguilles, elle jette un regard sur notre assemblée désordonnée, puis pince les lèvres, et s'en va.

Je regarde Ruby. Elle s'acharne contre un bout de viande trop cuite qu'elle a rejeté et qu'elle est en train de transpercer avec sa fourchette.

-On essaie d'en récupérer ou pas ? Je demande à ma soeur.

- Des nouveaux ? Ça dépend. J'en veux des vraiment intéressants, qui peuvent nous être utiles pour une raison ou une autre. Normalement, il devrait y en avoir une dizaine. Je veux pas de branleurs, pas de nymphos, pas de violeurs en puissance. Les autres, on verra. You're the good cop, I'm the bad cop. Comme d'hab. Félix et Phoebe, vous restez en observation, et vous voyez les potentialités.

On hoche la tête, heureux de voir qu'on adopte la bonne vieille technique. C'est Edward qui nous avait conseillé de fonctionner comme ça, à force de voir ma soeur me protéger. Il voulait me voir agir, sortir de ma coquille. Il voulait contenir Ruby tout en la laissant se lâcher. Il savait ce qu'on était. Je crois qu'il nous a sauvé la vie. Enfin, surtout à moi, vu que Ruby n'est pas particulièrement fragile.

Tom abat son plateau sur la table.

-Alors Ruby, tu vas en capturer cette fois-ci ? Depuis qu'Edward est parti, vous n'êtes plus que 4 dans votre petite bande ! Va falloir changer la donne, si tu ne veux pas te faire écraser ! Il lance avec une pointe de supériorité.

Ma soeur se redresse, braque ses yeux bleus dans ceux de Tom. Une ombre passe sur son visage, puis un sourire carnassier se dessine sur ses lèvres.

-Mêle-toi de ton cul, connard. Je te signale qu'Edward est parti depuis 2 ans, et jusqu'ici, aucun de vous n'a réussi à me faire plier. Vous ne m'avez pas fait mordre la poussière une seule fois. Vous vous en prenez à mon frère pour m'atteindre, parce que vous n'avez pas les couilles de m'attaquer directement. Donc ferme ta gueule, Tom. Sinon, tu vas m'énerver, et je te le déconseille fortement, si tu veux garder tes dents, elle crache.

Ruby détourne son attention de Tom, comme s'il n'était qu'une petite limace insignifiante, et ouvre son yaourt. Au bout de la table, Tom se met à rager, il insulte Ruby, qui se lève en renversant sa chaise.

-TU AS DIT QUOI, ESPÈCE DE BÂTARD ?

Elle a hurlé, et le self entier s'est tu. Ruby fait peur, Ruby impressionne. Elle se bat mieux que la quasi-totalité des mecs du Centre, elle n'a pas peur, elle est dans la provoque. Elle est la seule fille à avoir un rang élevé. La seule à être chef de bande. Alors quand elle s'énerve, on prend les paris. Tom s'élance, et Ruby se dresse.

Le corps-à-corps s'engage, d'une violence brutale et sauvage. Nos duels n'ont rien de raffiné. C'est un combat de bêtes, un duel de gladiateurs. Les cris s'élèvent, les encouragements, les insultes... Et là, après avoir pris un coup sur la tempe, ma soeur abat son genou dans les bijoux de famille de Tom. Il titube, se prend un direct du droit dans le nez, un crochet gauche dans la tempe, un coup de genou dans l'estomac, et il s'effondre. KO. Ruby saigne du nez, elle a les cheveux en désordre et elle se tient en appui sur sa jambe droite au lieu de la gauche. Je me lève, la prends par le bras pour l'empêcher de se ruer sur le corps de Tom, gisant au sol. Félix et Phoebe se lèvent et font barrage à un de ces potes qui se rue sur nous.

J'entraîne ma sœur vers la salle de bain, quand apparaît Madame Esterlitz.

-Ruby ! Puisque tu es suffisamment pleine d'énergie pour te battre alors même que tu devrais te désintoxiquer de violence dans ce centre, tu feras la visite demain, à la place de Tom, qui n'est plus en état ! Et au moindre écart, tu es de corvée poubelle pour les trois mois à venir.

Ma soeur serre la mâchoire, avale difficilement sa salive, essuie son nez avec sa manche, et reprend sa marche en s'appuyant sur moi. Une fois que nous avons dépassé la directrice, je me penche vers Ruby, et murmure dans son oreille.

-Moi, j'ai trouvé qu'il l'avait mérité, sista. Et que tu l'as bien calmé, l'autre imbécile.

Elle sourit, me regarde, et m'adresse un clin d'oeil complice. De l'oeil gauche, l'autre virant déjà au violet... Coup dans l'oeil. Encore une marque qui va rester un petit moment sur son joli visage.

-Et tu n'imagines pas son état si tu ne m'avais pas arrêtée, p'tit frère, elle ajoute en souriant.

Je fronce les sourcils, chassant les images. Malheureusement, je n'ai pas besoin d'imaginer : c'est déjà arrivé...

Cygnes, dans l'ombre, la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant